La question écologique est une question politique, elle ne peut pas être traitée sans aborder notre système politique. Il ne s’agit pas seulement de distinguer entre ceux qui défendent une écologie ethnocentrée ou une écologie bio centrée, mais de distinguer entre ceux qui essaient de développer une écologie sans remettre en cause le système démocratique (certains mettant en cause le capitalisme, d’autres non) et ceux qui remettent en cause ce système. Il y a donc trois types d’oppositions possibles et complémentaires :
Vivant/ non vivant (Bruno Latour, Où atterrir ?, La Découverte, 2017)
Capitalisme/ alternatives au capitalisme (Naomi Klein, Tout peut changer, Actes Sud, 2015)
Démocratie/ anarchie (Emmanuel Mounier, Communisme, Anarchie et personnalisme, Seuil, 1966).
Notre hypothèse est qu’il n’y a pas de politique écologique possible dans le système dit démocratique des pays européens. Il n’y a pas d’écologie possible dans une économie capitaliste non plus, ni dans un système qui ne met pas le rapport au vivant avant le rapport au non-vivant (la production de biens), mais toute tentative pour inventer une autre politique est vouée à l’échec si nous ne changeons l’organisation politique.
La question n’est donc pas entre écologie superficielle (la croissance verte) et écologie profonde (Arne Naess),mais entre une écologie qui embrasse les trois dimensions environnementales, sociale et économique, et une écologie limitée à la dimension environnementale. Commençons par les deux dimensions fondamentales de la société, l’espace et le temps.
L’espace
L’espace de la plupart des démocraties est beaucoup trop large pour qu’elles fonctionnent (Olivier Rey, Une question de taille, Stock, 2014). Ce système a été conçu par les Grecs pour des ensembles de quelques dizaines de milliers de personnes, pas pour des dizaines de millions. Il faut donc revoir totalement la base territoriale des démocraties.
Le temps
Le respect des autres vivants suppose de ralentir (Dennis Meadows, Les limites de la croissance, Rue de l’échiquier, 2012). Ralentir pour les voir, d’abord. Ralentir pour les préserver ensuite. Ceci est totalement incompatible avec le capitalisme, qui ne fonctionne qu’avec un accroissement constant de la productivité, c’est à dire de la vitesse de la production. Le temps est supérieur à l’espace.
La crise de la démocratie
Les analyses sur la crise de nos démocraties sont si nombreuses que nous ne pouvons pas toutes les énumérer ici. Les propositions sont généralement soit l’amélioration de la consultation des citoyens, soit la rénovation es instances de représentation, jamais la remise en cause de la base territoriale.
La 6eme République est une illusion ça elle ne propose pas de changer ni la base territoriale, ni le rythme de la production.
Perspectives de l’anarchie
L’anarchie n’est pas le désordre, c’est au contraire l’ordre, sans l’autorité (Proudhon). C’est un ordre de niveau supérieur à l’ordre sous contrainte.
Concrètement, cela suppose de petites communautés, capables de se gérer elles-mêmes (c’est le principe de l’autogestion), coordonnées pour les questions supposant de plus grands ensembles (c’est le principe du fédéralisme). C’est donc en termes contemporains une combinaison de l’autogestion au niveau local et du fédéralisme.
C’est une combinaison fragile car la tentation du pouvoir est toujours là, fragile mais donc vivante.
De nombreux philosophes défendent l’anarchie, au niveau des idées. Catherine Malabou cite Foucault, Levinas, Derrida, Simone Weil, Giorgio Agamben, moins nombreux sont ceux qui défendent la pratique de l’anarchisme (Proudhon, Bakounine, Kropotkine), voir Catherine Malabou, Au voleur !, PUF, 2021.
Cette perspective est assez proche de celle de l’écologie sociale de Murray Bookchin (Wildproject, 2020), mise en œuvre semble-t-il chez les Zapatistes au Mexique et dans deux territoires du Kurdistan.
Les principes du christianisme
La rénovation de notre système peut s’inspirer de deux principes de la doctrine chrétienne.
Le principe de subsidiarité, selon lequel les citoyens décident de tout ce sur quoi ils peuvent agir. Donc constitution de collectifs locaux gérant les problèmes locaux.
Le principe que nous appellerons le principe de César : « Rend à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » C’est à dire, selon Foucault Giuliani (La Communion qui vient), rend à César son argent, et obéit à Dieu. C’est une remise en cause radicale de l’autorité du souverain terrestre.
Des auteurs chrétiens défendent l’anarchie, même si cela est peu connu : Jacques Ellul, Charles Péguy, Emmanuel Mounier, Foucault Giuliani…
L’anarchisme chrétien est une voie prometteuse, pour sortir à la fois du cléricalisme et du capitalisme. Prometteuse mais difficile, la tentation du pouvoir est toujours présente, y compris dans l’Église. Le pape François a dit que « L’objectif est une organisation horizontale et non pas verticale hiérarchique, une organisation où l’on ne distingue pas rigidement ceux qui savent et ceux qui apprennent, les chefs et les subordonnés. » (Discours du Pape François aux fidèles du Diocèse de Rome 18 septembre 2021, cité par Sœur Nathalie Becquart dans sa présentation de la démarche synodale). Mais l’affirmation de la nécessité d’une hiérarchie est vite revenue dans les discours ecclésiaux.
L’avenir du système économique
Il n’est pas question de négliger l’importance de l’économie. Une écologie ne sera pas possible dans un système capitaliste tout simplement parce que le capitalisme repose sur le principe d’accumulation. C’est le système A-M-A explique Marx. Un capitaliste investit une somme d’argent À, la transforme en marchandise M à condition que la somme A obtenue en fin de cycle soit supérieure à la somme investie au départ. Puis il recommence le cycle en produisant toujours plus pour valoriser le capital investi. Sinon il n’investit pas et le système s’arrêterait, mais de fait les capitalistes confrontés à un marché saturé inventent d’autres marchés, le corps humain étant aujourd’hui l’un de ces nouveaux marchés.
Un système politique autogéré, anarchique, ne garantit pas un système économique respectueux de la nature. Mais la proximité des décideurs avec leur environnement peut le favoriser.
La société respectera la nature d’autant plus si le paradigme du vivant, actuellement émergeant, a pris sa place (Dominique Bourg, Primauté du vivant, PUF, 2021).
La question de la transition, le préalable de l’effondrement.
Il n’est évidemment pas pensable qu’une autorité politique décide volontairement d’abandonner son pouvoir à des unités plus petites situées dans son champ de pouvoir. Les systèmes fédéraux ont toujours été construits après destruction des système antérieurs, comme la République Fédérale en Allemagne.
L’effondrement est une hypothèse de plus en plus prise au sérieux (Pablo Servigne, Quand tout peut s’effondrer, ou Laudato si’ , # 194).
Il faudra donc attendre la destruction de l’Etat pour reconstruire (Deon Meyer, L’année du Lion, Points, 2017). C’est dommage mais sans doute inévitable. La destruction viendra d’une ou plusieurs crises, écologique, sanitaire, financière… mais il est possible de préparer la reconstruction en développant des collectifs de solidarité au sein même du système actuel, non pour l’améliorer, cela ne fait que le renforcer temporairement, mais pour disposer de bases pour la reconstruction.