Histoire de deux utopies : le travail dans un monde de l’après-croissance
Simon Mair⁎, Angela Druckman, Tim Jackson, Ecological Economics, 21 mars 2020 https://doi.org/10.1016/j.ecolecon.2020.106653
Les auteurs de cet article réussissent un tour de force, annoncer que dans le futur nous travaillerons plus et promouvoir le revenu universel. Du coup je serai presque favorable à la proposition du revenu universel telle qu’elle est présentée.
En s’inspirant librement des utopies des siècles précédents, dont ils considèrent que ce sont des modèles, comparables aux modèle en économie, ils développent leur raisonnement de façon très logique. Les deux utopies servant de support sont Les jardins de Cocagne d’une part (qui ont fait l’objet de publications entre le XIIe et le XIXe siècle), News from Nowhere (William Morris, fin du XIXe siècle) d’autre part. Dans les Jardins de Cocagne on consomme sans travailler, dans la société de Nowhere, le travail libre est source d’épanouissement, « la production est motivée par l’art et les besoins plutôt que par le profit. » et les revenus sont déconnectés du travail.
Constats
Le capitalisme est né de l’élargissement des marchés qui conduit à produire non pas ce dont nous avons besoin, mais ce qui peut être vendu.
Le travail devient une ressource (avant c’était la terre, voir l’invention du travail, Dominique Meda).
La taille du marché appelle à une production toujours plus importante, d’où la nécessité de produire plus, d’augmenter la productivité, l’une des premières méthodes étant la division du travail.
Seul le travail de production est valorisé, le travail de reproduction (familial) est assimilé aux fonctions improductives.
Une grande partie de la production sert à produire des biens ou des services inutiles, mais produits car ils peuvent être vendus..
Mais la productivité va baisser, soit de manière volontaire (voir ci-après les principes d’une économie de l’après-croissance) soit involontaire, la recherche de production d’énergie, quand les énergies fossiles ne seront plus ou moins disponibles, ayant un retour sur investissements de plus en plus faible (l’EROI). Nous serions à la veille d’un baisse rapide de l’EROI.
Analyse
Ce système est critiquable du point de vue social et du point de vue écologique.
La division du travail vide la plupart des postes de travail de leur sens, sauf certains comme les services aux personnes, parmi les moins bien payés et considérés, mais où les travailleurs trouvent du sens. Beaucoup sont obligés d’accepter des travaux qui n’ont pas de sens pour eux (Bullshit jobs), pour pouvoir gager leur pain.
La tendance à produire toujours plus épuise nos ressources et met l’environnement et nous-mêmes en danger. « La croissance de la productivité du travail implique une violation des limites biophysiques, la dégradation du travail, la génération d’inégalités et la dévaluation du travail reproducteur. »
Pistes pour demain
Le constat est indiscutable. L’analyse peut être contestée. Si on la partage, quelles sont les pistes pour une économie de l’après croissance ?
Supprimer l’obligation de travailler. Le travail ne sera facteur d’épanouissement que si nous sommes libres de le choisir, si nous sommes libres de refuser un travail qui ne sert à rien, ou dont les conditions de travail nous paraissent trop dures. En conséquence il est probable que la productivité va diminuer. Mettre en place un revenu universel.
Limiter au maximum la division du travail pour redonner du sens à nos actes.
Mais comme la productivité sera plus faible il faudra travailler plus.
Selon les auteurs « l’économie n’est pas comme une question de calcul de la façon dont nous produisons les choses que nous voulons, mais une question normative de ce que nous voulons produire et comment nous voulons le faire. » Il ne s’agit pas d’un programme politique mais de pistes pour le monde d’après. Ce dont nous avons d’abord besoin c’est d’un nouvel imaginaire.
Discussion
La lutte contre l’augmentation de la productivité est une façon très intéressante de prendre le problème. Nous avions pour notre part mis le capital au centre de la question, en proposant de réduire le capital de production, ce qui aurait pour effet également de réduire la productivité. Mais mettre la productivité en premier rang fait le lien directement avec l’homme et l’organisation du travail. La crise du corona virus va permettre de l’expérimenter : faire tourner les équipements avec moitié moins de personnes est une façon radicale de diminuer la productivité !
Le lien entre faible productivité et augmentation du temps de travail n’est pas justifié dans ce texte. Il est évident si l’on veut garder un niveau de vie, de consommation, équivalent à celui d’aujourd’hui (mais ce niveau excède, dans les pays occidentaux, le potentiel des ressources naturelles). Mais dans une société plus sobre ? Selon notre propre analyse, la baisse de la productivité sera beaucoup plus forte que la diminution acceptable, envisagée, de notre consommation. Nous sommes en accord avec le raisonnement, mais il aurait été intéressant de le documenter.
La réduction de la division du travail est une dimension fondamentale, c’est effectivement le seul moyen de redonner du sens. La tendance actuelle à la relocalisation ne peut que conforter, espérons-le, cette orientation.
Pour référence sur ce même sujet
Arnaud du Crest, Décarboner l’économie, De l’huile de roche à l’huile de coude, Un article, Études, Mai 2017 et un livre Chroniques sociales, 2017
Un commentaire sur “Diminuer la productivité pour libérer le travail”