Ce que les chrétiens ont à dire sur l’écologie

Reconnaître nos limites

Le fait religieux a été exclu du principe de légitimation du pouvoir pour être remplacé par le pouvoir du peuple à la fin du XVIIIe siècle. C’est le renversement de la relation pouvoir /société. On est passé du pouvoir cause de la société au pouvoir effet de la société. Marcel Gauchet a finement analysé ce renversement et la place prise par le libéralisme[1].

Ne sommes-nous pas dans une phase d’un nouveau renversement, en ce début du XXIe siècle, avec l’atteinte des limites de notre monde qui s’imposent au pouvoir des Hommes, à l’image de la transcendance dans l’ancien régime ? En effet le pouvoir issu du peuple est un pouvoir souverain, qui est réputé pouvoir organiser le monde en fonction de sa volonté propre. Mais ce pouvoir se heurte aujourd’hui aux limites de la croissance de la productivité et de la population (donc du PIB), des ressources, de l’atmosphère.

La première limite de la productivité nous renvoie à la situation des sociétés humaines avant la parenthèse historique des combustibles fossiles (1850 – 2050). Elle entre en opposition totale avec l’idéologie libérale, qui a remplacé la théologie comme explication du monde. Le renversement du XVIIIe siècle nous a fait passer de l’obéissance au passé à la préparation continue de l’avenir. Revenir à un monde limité est proprement non imaginable.

La seconde limite des ressources disponibles a, au cours de l’histoire, été soit gérée par une démographie stationnaire dans les cultures primitives, soit dépassée par l’exploitation des ressources des autres, ce qui devient de plus en plus difficile dans une économie mondialisée.

Enfin la troisième limite de l’absorption des gaz à effet de serre est nouvelle et s’impose à tous.

Le pouvoir se trouve donc pris en tenaille entre le peuple source de sa légitimité, et les limites écologiques et économiques. Il n’ose pas imposer, c’est-à-dire se faire le relais transitif des limites vers le peuple. Et ces limites sont pour le moment peu visibles dans la vie quotidienne des citoyens. Nous sommes donc dans une situation bloquée. Quelles sont les hypothèses de sortie ? Il faut revenir au principe de transcendance, mais comment l’accepter sans référence à la dimension divine ?

Une transcendance ouverte vers l’à venir

La reconnaissance des limites est souvent perçue comme un retour en arrière dans le temps, ce qui est conforté par une conception du pouvoir de source divine à la fois comme supérieur (dans l’espace) et antérieur (dans le temps), même pour des chrétiens. Cette conception, nous dit Marcel Gauchet, produit une société traditionnelle, c’est à dire attachée à la tradition, et réticente au changement qu’elle perçoit comme régression.

La conception traditionnelle bloque la possibilité d’un passage à une transcendance tournée vers l’avenir, même pour la majorité des chrétiens, ce qui n’est pas le moins paradoxal. Ceci suppose une conversion. Le temps c’est une durée mais aussi un sens. Ce blocage provient d’une conception que nous qualifierons d’erronée du rapport de Dieu au temps. Dieu n’est pas antérieur, il est hors du temps et de l’espace. L’eschatologie c’est la création continue du monde, pas le retour aux origines [2].

On rejoint là, d’une autre manière, les critiques de l’évolutionnisme et du progrès conçu seulement comme ce qui arrive demain[3].

L’Homme solidaire de la nature

Le troisième blocage est l’idée que l’Homme est supérieur à la nature et qu’il peut donc dépasser les limites de celle-ci. C’est là aussi une conception  théologique et idéologique que nous qualifierons d’erronée.

D’un point de vue idéologique ceci nous renvoie à l’acceptation des limites. D’un point de vue anthropologique cette conception dualiste Homme Nature est spécifique à l’Occident où elle a pris naissance dès le néolithique[4].

Cette conception que Descola nomme « naturaliste » est spécifique à l’Occident où elle a pris naissance dès le néolithique[5] et a été renforcée par la philosophie grecque, reprise par les Pères de l’Eglise. D’autres conceptions existent qui n’opposent pas l’Homme et la Nature, et de fait respectent plus la Nature. Peut-on pour autant convertir la pensée occidentale à des approches analogues à celle de civilisations africaines (animisme) ou  des philosophies orientales (analogisme) ? Difficile… il faut prendre en compte notre propre histoire.

De fait de nombreux chrétiens pensent aussi que l’Homme est de nature différente des autres espèces et qu’il peut se monter supérieur à la nature, que sa capacité d’innovation lui permettra de dépasser les limites qu’il rencontre. La Bible[6] ne dit-elle pas « emplissez la terre et soumettez-la » ? Tandis que pour Saint Paul[7] « La création tout entière souffre dans les douleurs de l’enfantement ». Il y a aussi une conversion à opérer au sein de la chrétienté, l’Homme est à l’image de Dieu par sa capacité à se mettre en relation avec Dieu, et non parce qu’il serait substantiellement différent des autres espèces de la Création. C’est l’opposition entre conception substantialiste et conception relationnelle.

L’obéissance

Accepter des limites, donc un ordre supérieur au pouvoir délégué par le peuple c’est accepter d’obéir à cet ordre supérieur. Accepter qu’il y ait des limites au pouvoir politique, de ne pas être « libre ». Mais c’est là encore une conception erronée du rapport entre liberté et obéissance, et les enseignements spirituels  – dont les chrétiens, mais ils n’en ont pas l’exclusivité – peuvent nous éclairer. Dans les sagesses traditionnelles, l’obéissance rend libre. D’ailleurs, est-on plus libre quand on désobéit ? L’expérience de chacun montrera que non…

Qui peut agir dans un temps long ?

L’une des sources du blocage de l’action politique est le décalage entre le temps court  de l’action publique en démocratie et le temps long des phénomènes en jeu. Autrement dit un élu a besoin que les conséquences de ses décisions se voient dans le court temps de son mandat, soit entre 3 et 6 ans. C’est possible, avec quelques difficultés déjà, pour les investissements comme une école ou un pont. C’est difficile dans le domaine économique. C’est impossible dans le domaine de l’environnement. Si nous voyons effectivement aujourd’hui le début des effets du changement climatique, ce sont les effets de la combustion du charbon de la fin du XIXe siècle et début XXe. Si un politique interdisait aujourd’hui toute nouvelle combustion d’énergie de source fossile, nous n’en verrions les effets que dans plusieurs dizaines d’années, voire une centaine d’années.

Le temps long, sans enjeu de réélection n’est porté que par les scientifiques, les associations, et une partie des fonctionnaires (en particulier au niveau européen) qui ont aussi le temps pour eux et la charge de défendre le bien commun. Mais leur pression sur les politiques et les chefs d’entreprise n’est pas suffisante. Qui est porteur du temps long et peut avoir suffisamment d’influence ? Comme le disait Sylvie Goulard devant les évêques[8], l’Église est la seul institution qui soit mondiale, qui ait le temps et qui s’attache au sort des plus pauvres. Elle doit donc s’engager, et l’Église, c’est nous.

Résumons : la reconnaissance de nos limites, une eschatologie tournée vers l’avenir, une conception relationnelle de l’Homme, une obéissance qui libère, voilà le message des chrétiens pour l’écologie. Il ne s’agit pas pour autant de revenir à la religion comme fait social comme sous l’Ancien Régime ou comme fait individuel comme au XXe siècle. Le dépassement de l’un et de l’autre se fait dans leur unité dialectique, nous sommes appelés à vivre plus saintement à la fois personnellement et collectivement. La vie simple comme voie vers un monde soutenable et plus juste n’est possible que si la société met en œuvre des actions structurelles dans le domaine des infrastructures, de la fiscalité, de l’éducation… Et que chacun modifie, en s’appuyant et en appuyant ces actions, son propre mode de vie. C’est la nouveauté révolutionnaire de notre temps, c’est un chemin vers plus d’unité et de conscience du monde comme l’a bien décrit Teilhard de Chardin par exemple.

[1] Intervention de Marcel Gauchet aux rencontres philosophiques (les rencontres de Sophie), février 2014 à Nantes

[2] Jurgen Moltmann

[3] Alain Gras, Le choix du feu, Fayard, 2007

[4] Philippe Descola, Par-delà nature et culture, Gallimard, 2005

[5] Genèse 1, 28

[6] Rm 8, 22

[7] Simplicité et justice, Paroles de chrétiens sur l’écologie, Diocèse de Nantes, 2013, p. 52

[8] Sylvie Goulard, députée européenne, le 6 novembre 2013, Assemblée plénière de la conférence des évêques de France à Lourdes

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