Bernard Perret considère que l’homme moderne a fait un pari « faustien » : il sacrifie son avenir pour mieux jouir du présent. C’est vrai comme résultat de la conduite actuelle des hommes, mais ceci ne nous parle pas des motivations de cette conduite. La description du joueur de Dostoïevski est ici très éclairante. Quelles sont les motivations du joueur ? Gagner, briller, espérer.
Gagner, c’est une nécessité pour l’entrepreneur dans une économie de marche dominée par la concurrence. Celui qui ne gagne pas perd, puis disparaît, au moins dans le monde des grandes entreprises (ce n’est pas vrai pour l’artisanat par exemple, l’artisan doit gagner sa vie, mais n’est pas obligé d’être le seul gagnant). Dans une certaine tradition chrétienne le travail est un moyen de gagner le ciel, pour d’autres le travail est une nécessité mais pas une vertu en soi. D’ailleurs on ne voit dans l’évangile aucune valorisation du travail, dont la glorification n’apparaît qu’au XIIIe siècle, avec Saint Thomas, en même temps que le développement d’une classe marchande. Depuis ce temps le travail a été paré de toutes les vertu, mais sa forme à fait l’objet de nombreuses luttes. Nous travaillons aujourd’hui plus et plus longtemps que les peuples primitifs.Faut-il vraiment perdre sa vie à la gagner ?
Briller est une motivation forte et commune au joueur et aux leaders, que ce soit dans le monde économique, politique, sportif ou culturel. Briller aux yeux de qui ? Des autres hommes. Gardons en mémoire Saint Paul : ne te compare à personne sauf à Dieu.
Pour le joueur espérer signifie d’espérer non pas quelque chose ou quelqu’un, mais simplement d’espérer. D’espérer qu’il existe un avenir, que notre vie à un sens, sans avoir besoin de plus définir cette espérance. Au contraire le croyant espère que Dieu existe et qu’il y a une vie après la mort, le militant espère pouvoir contribuer à créer un monde meilleur.
L’entrepreneur ou le collaborateur de l’économie de marché, comme le joueur, espère simplement que ce qu’il fait à un sens. Comme le joueur il est dans un système qui semble avoir des règles indépendantes, objectives, dans lequel il ne peut rester vivant que s’il les comprend et s’y conforme. Il ne peut pas imaginer un monde différent. Et dans les deux situations l’argent est la source, le but et le moyen, la seule chose qui « compte ». Celui qui a dit que ce qui est le plus important ne peut pas se mesurer (l’amour, l’amitié) est pour lui un extra-terrestre.