Le juge inique et la veuve

La parabole du juge inique et de la veuve importune (Luc 18, 1-8) juxtapose la justice, l’iniquité et la foi . c’est l’histoire d’une veuve qui demande justice, et que le juge n’écoute pas. Mais après quelques temps, il décide de juger l’affaire, et de lui rendre justice, non par devoir, mais pour éviter qu’un jour « elle ne vienne lui pocher un œil ». Morale de Luc : si un juge inique rend justice, alors Dieu ne peut que faire justice à ses élus. Ne soyez pas inquiets, et priez.

Ce texte suscite immédiatement en moi une réflexion sur l’actualité de la situation en Afghanistan.

La veuve demandait depuis longtemps qu’on lui rende justice. Les pays dits en développement, c’est-à-dire les pays pauvres, demandent depuis plusieurs dizaines d’années que le marché mondial soit plus juste, qu’ils aient plus librement la possibilité d’exporter leurs produits agricoles, de ne pas être dominés par l’information occidentale, que leur culture soit respectée… et le juge s’y refusait, il n’avait « de considération pour personne ».

Qui est ce juge aujourd’hui ? Celui qui a le pouvoir, les pays riches. C’est celui qui refuse des financements à la FAO (organisme de l’ONU chargé du développement agricole) parce qu’il serait trop lié aux pays en développement, c’est celui qui fait pression pour que les pays du sud de la planète ne développent pas les « médicaments génériques », moins coûteux, c’est celui encore qui soutient les israéliens qui installent des colonies de peuplement dans les territoires palestiniens.

Et puis le juge dit « comme cette veuve m’importune, je vais lui rendre justice ». La situation d’aujourd’hui n’est pas tout à fait comparable, les Etats-Unis ont décidé de se rendre justice car ils ont été attaqués, mais pour ce faire, ils ont dû faire quelques concessions au Pakistan pour son commerce extérieur, ou aux palestiniens pour leurs droits (au moins en paroles). Ce n’est pas qu’ils aient plus de considération pour les pakistanais ou les palestiniens, c’est seulement pour qu’ils ne les bloquent pas dans leur stratégie, comme le juge inique rend justice « pour que (la veuve) ne vienne pas sans cesse (lui) rompre la tête ».

S’il est juste de prendre en considération le peuple palestinien ou pakistanais (et le peuple irakiens ?), s’il est juste de combattre les terroristes, il est inique de bombarder à la fois avec des bombes et des boites de beurre de cacahouète. S’il est juste de se défendre, il est inique de se plaindre d’avoir d’abord élevé un serpent en son sein (Ben Laden) pour ensuite le charger de tous les maux, ou de bombarder des prisonniers enfermés dans une forteresse.

Le texte d’Evangile s’arrêterait là, nous aurions un article de plus sur cette guerre, et sur les relations entre justice et realpolitik. Mais Jésus termine en disant : « Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » La foi, ou l’adhérence (traduction de Chouraki, qui est une belle image de la foi, adhérence à Dieu, adhérence au monde de Dieu). Oui, où est la foi de ceux qui jugent, de ceux qui demandent ? Dans ce conflit, la foi est partout, sur les billets de banque des propriétaires des bombardiers, comme sur les tracts des terroristes, dans le cœur des militants humanitaires, comme dans celui des moujahidines tadjick. Comme on ne peut séparer le bon grain de l’ivraie, on ne peut sélectionner la foi qui serait bonne et celle qui serait mauvaise entre tous ces acteurs.

Pour Luc, la morale est que la justice viendra, et qu’il faut dans l’adversité « prier sans perdre cœur ». C’est nécessaire pour comprendre, pour porter dans son cœur les victimes de Mazar-I-Charif comme celles du World Trade Center, les iniquités des généraux alliés, quelle que soit l’alliance, … et pour agir. Non en Afghanistan mais chez nous, par nos choix politiques, nos engagements associatifs notre parole. Et cette parabole nous apprend qu’un juge, celui qui dit agir pour la justice, peut être inique, et que rendre justice à la pauvreté n’attend pas, pour les pays du tiers-monde comme pour notre pays. Dans l’Evangile, Jésus dit que « Dieu fera justice promptement ». Ce mot est important, même s’il est vrai que le royaume de Dieu n’est pas de ce monde (çà se saurait). Comme le disaient des afghans, si nous avions reçu autant en aides que ce qui tombe du ciel sous forme de bombes, il n’y aurait pas de talibans !

Arnaud du Crest

Novembre 2001

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