L’écologie est une approche systémique, de notre environnement d’abord, qui a ensuite été élargie aux autres dimensions de notre façon d’habiter le monde. Ce texte est un peu long, voici le sommaire.
Introduction : une approche systémique
1 La dimension environnementale
Lire la suite: L’écologie intégraleC’est une approche systémique dans le domaine de l’environnement. Quelques exemples.
Introduction : une approche systémique
La voiture électrique est une solution ?
Elle émet moins de CO2 quand elle roule, mais son intérêt par rapport à une voiture à moteur thermique dépend :
- De l’origine de l’électricité. Si les batteries sont chargées avec de l’électricité d’origine fossile (gaz, pétrole, voire charbon à Cordemais), le bilan sera plus mauvais qu’une voiture thermique. C’est la question du périmètre considéré, juste la route, ou l’ensemble du processus, ce que l’on appelle le scope.
- Des minerais utilisés pour les batteries, origine du lithium par exemple, conséquences sur les populations exposées pour les mines et la biodiversité. Lien climat et biodiversité.
- Du nombre de km parcourus par an, c’est le lien entre la dimension sociale et l’écologie .
Se chauffer au bois sans émission de carbone ?
Tout dépend d’où vient le bois, de la gestion des forêts exploitées… importer du bois du Canada pour des centrales en France n’est pas très écologique vues les émissions des cargos. Importer des pellets de bois de Norvège ou de Belgique non plus. C’est la question du périmètre là encore.
Le nucléaire est une source peu carbonée.
Oui mais il faut refroidir ces usines, donc rejeter de l’eau chaude dans les cours d’eau pour celles qui ne sont pas en bord de mer. Plusieurs centrales ont dû être arrêtées l’été 2022 pour cette raison, d’autres ont continué avec une dérogation. Qui met en danger les poissons des rivières. Lien climat biodiversité.
dans les marais du sud de la France permet de diminuer les maladies, d’aménager les terrains. Mais cela supprime une source de nourriture pour les oiseaux. Voir Le printemps silencieux de Rachel Carlson. Lien santé et biodiversité.
a permis de sécuriser l’élevage des moutons, mais les loups mangeaient aussi les lapins, qui du coup se sont multipliés, comme des lapins, et ont mangé toute l’herbe. Les moutons n’ont plus assez à manger (Jiang Rong, Le totem du loup, 2007).
La méthanisation pour produire du gaz vert
Cela semble une bonne solution, mais méthaniser les déchets verts, c’est les brûler sans qu’ils puissent revenir dans la terre et la rééquilibrer en carbone. Les sols s’appauvrissent en carbone et deviennent de moins en moins fertiles. Il est préférable d’enfoui les déchets verts, qui se décomposent dans la terre. Quant à produire du maïs spécifiquement pour faire du biogaz, c’est détourner la fonction agricole de son premier objectif, nourrir les hommes.
Le projet de la Commission européenne est de consacrer 20 % des terres arables à des cultures énergétiques, de multiplier par 4 les importations de bois pour l’énergie et de convertir la moitié des prairies semi-naturelles. Ceci réduit la capacité des sols à stocker du carbone et augmentera la déforestation hors d’Europe (Nature, 1er décembre 2023, cité par Le Monde du 2 décembre).
Développer les éoliennes (terrestres) au détriment de la biodiversité
Le projet de loi (2022) pour accélérer les projets d’énergies renouvelables (éolien, panneaux photovoltaïques) propose de limiter les recours et de réduire la protection de la biodiversité. Faut-il choisir ? Ou dépasser la contradiction en définissant des zonages protégeant la biodiversité et autorisant, dans certaines limites, le développement des énergiezs renouvelables ?
Cela ne veut pas dire que l’on ne peut rien faire, mais qu’il faut prendre en compte toutes les conséquences de chaque action, tout le périmètre.
On pourrait continuer longtemps, et l’on reste ici au sein de la dimension environnementale. Je vais présenter une vue d’ensemble de la dimension environnementale puis je développerai les quatre autres dimensions, économique, sociale, culturelle, spirituelle (au sens laïque du terme).
L’écologie intégrale
Avant, quelques mots sur le terme d’écologie intégrale. Le terme d’écologie a été défini en 1866 par le biologiste et philosophe allemand Ernst Haekel pour décrire les relations des êtres vivants avec leur environnement biotique et abiotique (vivant ou non-vivant). Puis il a été appliqué au début du XXème siècle domaine de l’urbanisme pour étudier les relations entre l’homme, son habitat et son environnement sous le terme d’écologie intégrale. Mais c’est la reprise de ce terme par le pape François dans l’encyclique Laudato si qui en a fait un terme désormais du langage courant. Ce n’est pas un terme religieux pour autant, mais il définit cinq dimensions, environnementale, économique, sociale, culturelle et spirituelle qui ont marqué, et qui nous serviront de guide.
1 La dimension environnementale
La façon la plus synthétique de présenter les enjeux environnementaux est celle des neuf limites de la planète, de l’université de Stockholm.
Ces neuf limites concernent l’air (CO2, pollution chimique, aérosols, ozone), l’eau (rejets d’azote et de phosphates, réserves en eau douce), la terre (part de forêts restantes, biodiversité). Ce n’est pas le lieu de définir le dépassement de ces limites, décrivons les interactions.
11 Climat et migrations
Nous avons dépassé la limite du CO2 dans l’atmosphère, qui produit l’augmentation de la température. Mais une partie de CO2 est absorbée par les océans, ce qui augmente l’acidité de l’eau, et réduit la capacité de fabrication des squelettes et coquilles calcaires du plancton, des coquillages comme les moules ou les huîtres. La réduction du plancton a des conséquences sur toute la chaîne alimentaire, les poissons en particulier.
L’augmentation de la température provoque la sécheresse des sols, la réduction des récoltes, et la migration des animaux du territoire, bientôt suivie par la migration des hommes.
12 Biodiversité et climat
Une autre interaction est illustrée par la destruction des forêts, par exemple en Amazonie ou en Malaisie. Les conséquences connues sont la perte de la biodiversité et la perte de captation de CO2 (l’Amazonie devient par moments émettrice nette de CO2), mais ceci provoque aussi la diminution de l’évapotranspiration, des pluies. Le territoire de forêt va devenir une savane.
13 De l’eau douce à l’eau salée
Dans les régions côtières le manque d’eau potable venant des cours d’eau incite les populations à pomper dans nappes phréatiques, en conséquence le sol s’affaisse et le niveau de la mer s’élève plus vite, les nappes phréatiques sont infiltrées d’eau salée et devient impropres à la consommation et à l’irrigation.
Après ces quelques exemples sur l’environnement, nous allons parcourir les quatre autres dimensions de l’écologie intégrale.
2 La dimension économique
21/ Croissance de la production et écologie
Depuis le XIXème siècle la croissance de la production de biens est soutenue par la consommation d’énergies fossiles, et l’augmentation de l’extraction de minéraux, minerais et de la biomasse (bois et produits végétaux). Cette croissance est nécessaire au bon fonctionnement d’un système économique basé sur le capital. En effet, le système Capital/Marchandise/Capital nécessite que le capital en fin de cycle soit supérieur à celui du début de cycle, sinon il n’a aucun intérêt (aux deux sens du terme). Rémunérer le capital (en moyenne à 4 %), dans une économie concurrentielle, nécessite de produire plus chaque année, donc d’extraire plus de matière et consommer plus d’énergie, ce qui pose la question de la préservation de notre environnement.
Question : peut-on réduire notre impact sur l’environnement et en même temps augmenter la production ?
Chacun aura sans doute une réponse, les uns mettant l’accent sur l’efficience (produire en consommant moins de matière et d’énergie), les autres mettant en évidence l’augmentation continue de l’extraction de matériaux, d’émissions de gaz à effet de serre, d’occupation des sols.
De fait on améliore l’efficience, de deux façons, par une amélioration des procédés, et en faisant produire dans d’autres pays ce qui nécessite le plus d’énergie et émissions de GES. Ainsi la France diminue régulièrement ses émissions par personne pour ce qui est produit sur son territoire, mais si l’on y ajoute les émissions des produits importés, les émissions par personne sont stables depuis plus de 10 ans.
Et plus on améliore l’efficience et que l’on diminue le coût de production, plus on consomme. C’est l’effet rebond paradoxe de Jevons mis en évidence dès 1865 déjà pour le charbon en Angleterre.
Augmenter la production en réduisant l’impact c’est que l’on appelle le découplage, ne semble donc pas possible. Sauf à imposer des quotas de consommation, mais ce serait contraire à l’intérêt des producteurs.
Les limites de la liberté d’action des industriels
La publicité a pour fonction de faire acheter toujours plus, et affiche des slogans du type « Tout est permis » (La Redoute, 2010), » Shopping sans limite » (Weyburn, 2015),ou pour des tronçonneuses » Ne laissez pas la nature vous faire de l’ombre » (Stihl, 2015). En totale contradiction avec les enjeux écologiques. Ceci pour la partie visible. L’action cachée est celle des lobbys, bien documentée pour l’industrie du tabac, du Teflon, de l’alcool, du diesel, des opioïdes, du glyphosate, du sucre… (Davis Michaels, The triumph of doubt).
Les agriculteurs ne sont pas en reste avec l’action de la FNSEA pour défendre les herbicides, pesticides, engrais chimiques, et la concentration des terres.
22/ Productivité et compétitivité
Dans un système économique géré par la concurrence, il importe d’améliorer constamment sa compétitivité (coût de production par rapport aux concurrents), donc en général sa productivité (coûts de production par unité de temps). Donc de produire plus avec le même nombre de personnes, ou de diminuer sa production et son personnel.
Dans la nature, l’entraide est la règle dominante, pas la concurrence, comme l’a bien montré Pierre Kropotkine chez les oiseaux pour les migrations, chez les pélicans pour la pêche, les chevaux pour se protéger des prédateurs, et dans la totalité des peuples premiers. Ces mécanismes d’entraide sont mis à jour actuellement pour les arbres.
Dans l’économie rurale aussi l’entraide est la règle entre les paysans, les artisans[1].
23/ Productivité et consommation d’énergie
La quantité produite par heure, par jour ou par an, est ce que l’on appelle la productivité. Je parle ici de la production matérielle, de l’industrie et de l’agriculture, la question est différente pour les services, mais elle se pose aussi.
Donc pour la production matérielle, il est important d’augmenter régulièrement la productivité pour rester compétitif et maintenir ou augmenter les profits. Mais plus on produit vite, plus on consomme d’énergie, l’augmentation de la consommation d’énergie augmente au carré de la vitesse. E = mc2, vous connaissez. Il faut donc diminuer la vitesse de production, la compétitivité. Difficile à mettre en œuvre sans remettre en question le système de concurrence, national et internationale, les règles de l’OMC etc.
Ceci s’applique aussi aux transports, pour lesquels des solutions commencent à émerger. Des lignes de transport de fret avec des bateaux à voile sont déjà en fonctionnement pour le chocolat avec l’Amérique du Sud (chocolat Grain de Sail), ou en projet pour l’industrie automobile avec l’Amérique du Nord (avec Renault).
24/ Un système comptable aveugle
Le système comptable ne permet pas d’enregistrer ce que l’on appelle les externalités négatives (stérilisation des sols pour construire des bâtiments ou par des pratiques d’agriculture chimique, pollution des eaux par les rejets industriels, émissions de gaz à effet de serre…), qui sont donc reportées en général sur la collectivité[2] (au sens large, Etat, collectivités locales, société civile).
Depuis une vingtaine d’années des économistes tentent d’intégrer dans le système comptable mais aussi de revoir les normes d’évaluation du capital. Des fonds placés par exemple dans des entreprises exerçant dans la recherche pétrolière seraient évalués à zéro selon la théorie des actifs échoués, ce qu’ils devraient devenir à terme). Voir Novethic par exemple et l’association Ruptur.
25 La loi de la valeur
Notre système économique repose sur l’idée que l’on peut donner une valeur monétaire à tout ce qui nous entoure, et que cette valeur est ce qui permet les échanges (la monnaie comme équivalent général). La façon de définir cette valeur fait débat, entre valeur d’échange (soumise aux lois du marché) et valeur travail (quantité de travail nécessaire, cf. Adam Smith). Mais la nature peut-elle être inclue dans ce mode de calcul ? Combien vaut un arbre ? Ce qu’il a demandé comme travail pour être abattu et découpé ? Ce qu’il apporte à l’économie par sa captation de GES (théorie des services écosystémiques). Ou peut-on dire que la nature ne peut pas être évaluée par ce type de calcul ? C’est tout le débat entre soutenabilité faible (on peut compenser la destruction d’une forêt si l’on crée autant de valeur de façon durable, par exemple captation de carbone par voie mécanique ou création d’une forêt sur un autre territoire, théorie de la compensation), et soutenabilité forte (il ne peut y avoir équivalence car on ne remplacera pas les fonctionnalités d’une forêt ancienne par une forêt plantée).
On voit là le lien entre environnement et économie, ce n’est pas seulement le besoin de financer la transition écologique qui pose question, c’est l’organisation économique de la société.
3 La dimension sociale
31/ Le rapport au pouvoir
Nous ne ferons la paix avec la nature, nous ne la respecterons, que si nous faisons la paix avec les hommes (Pascal Acot, Histoire du climat), et cet horizon peut paraître lointain. Pourquoi ? Parce que les rapports de pouvoir[3] que certains hommes mettent en place dans leurs relations avec les hommes, ils les reproduisent avec la nature. Trois exemples.
Dans la guerre en Ukraine, les Russes massacrent, violent, amputent la population civile, et font la même chose avec les animaux, les arbres, les champs et les rivières. Ce n’est pas une conséquence de la guerre, c’est une conséquence des rapports de pouvoir.
Dans le monde informatique prenons Amazon. Les rapports de son PDG Jeff Bezos avec les salariés des entrepôts sont basés sur le rapport de force, il suffit de voir comment il a essayé d’éviter la création d’un syndicat. Il entretient le même rapport avec la nature : bétonnisation des sols pour construire ses entrepôts, consommation effrénée d’énergie pour livrer les produits en juste à temps (même s’il fait des déclarations de verdissement de sa politique de transport).
Quelques chiffres pour illustrer (source La revue dessinée, Le monde merveilleux d’Amazon, novembre 2022) :
L’attention aux hommes, 44% de contrats intérimaires en 2019 pour les effectifs en France, 1 000 accidents du travail en France en 2019 (Amazon Logistique France),ou le licenciement de 300 manutentionnaires de l’entrepôt de Baltimore sur décision d’un algorithme en 2017-2018 (source le Monde M 12 novembre 2022).
L’attention à la nature, 71 millions équivalent CO2 d’émissions de gaz à effet de serre en 2021 (activité monde, soit l’équivalent de la Grèce) pour les produits sous sa marque propre, estimés à 1,6 milliards (3,5 fois les émissions de la France) si on extrapole à tous les produits distribués (selon Les amis de la Terre). Quel scope ?
3 millions de produits neufs détruits en un an (France 2019).[4]
Enfin la coupe du monde de football au Quatar, où les droits humains des salariés sont soumis à des conditions de travail peu respectueuses (on estime à plusieurs milliers les morts sur les chantiers), et où la protection de la nature, la réduction des émissions de gaz à effet de serre, sont totalement niées.
32/ Les inégalités sociales
Cette dimension est plus simple à comprendre. Plus je gagne d’argent plus je consomme. De nombreuses données le confirment, aussi bien au sein d’un même pays, les plus riches ont par exemple un budget déplacement sans commune mesure avec les pauvres, qu’entre pays.
Au niveau mondial, les 1 % les plus riches émettent en moyenne 110 tonnes de CO2/ an, les 50 % les plus pauvres 1,6 tonne de CO2/ an (source Oxfam, 2019).
Les plus riches sont un « modèle que les autres essaient d’imiter, dans la mesure du possible, ce qui génère toujours plus de consommations (effet Veblen, Théorie de la classe de loisir, 1899).[5]
33/ Le rapport au temps, ralentir
Je reprends le thème du ralentissement abordé avec la production, il en est de même pour chacun d’entre nous, E = mc2 s’applique également à notre vie quotidienne. Plus nous choisissons de nous déplacer rapidement, plus nous consommons d’énergie.[6]
34/ La démocratie du court terme
Les actions environnementales ont des effets en général à long terme. Le réchauffement actuel a commencé au milieu du XIXème siècle et le CO2 que nous émettons actuellement influencera le climat durant une centaine d’années. La hausse du niveau des mers est engagée, quoi qu’on fasse, pour plus d’un siècle. Alors que les élus sont soumis à des élections tous les 5 à 7 ans. Cette contradiction est mise en évidence depuis longtemps et différentes propositions ont été avancées pour mettre en place une instance consultative en charge du long terme (réforme du Conseil économique, social et environnemental ou du Sénat).
4 La dimension culturelle
41/ Avoir ou être?
Nous vivons encore avec l’idée que la richesse c’est avoir plus même si Michel-Edouard Leclerc, nous propose de manger mieux et non de manger plus.
Il y a beaucoup d’autres dimensions de la richesse : les relations sociales (ce que l’on appelle le capital social, cf. Pierre Bourdieu), l’admiration de la beauté d’un paysage, la capacité à s’exprimer comme jouer de la musique ou dessiner, et vous en trouverez bien d’autres[7].
42/ La relation avec la nature
La culture est-elle supérieure à la nature ? C’est la question posée par la crise écologique. Si l’on répond oui, on adoptera la posture de la croissance verte, selon laquelle la technique permettra de résoudre les problèmes environnementaux. Si l’on répond non, c’est une révolution (au sens mathématique du terme).[8]
43/ Temps linéaire et temps composite
La conception linéaire du temps, c’est qu’il y a toujours un avant et un après, comme le dit Bruno Latour l’homme occidental est comme Attila, là où il passe, le temps ne revient pas. C’est ce qui nous empêche de concevoir le changement de mode de vie qui irait contre le progrès.
Une autre approche est celle du temps composite. Quand je répare des objets avec une perceuse et un marteau, j’ai un objet moderne et un objet qui a des milliers d’années. Sur moi je peux porter un pull de laine, matière utilisée depuis plusieurs siècles, et une chemise en nylon, issue du pétrole[9].
44/ Territoires de vie et cultures
La culture des peuples aborigènes est intimement liée à leur milieu de vie, en Amazonie comme en Afrique. La culture des peuples aborigènes Wangan et Jagalingou en Australie est menacé par l’implantation d’une mine de charbon[10].
Le Whanganui, un fleuve de Nouvelle-Zélande, qui fait partie de la culture des Maoris, a désormais les mêmes droits qu’une personne[11].
Détruire des forêts pour planter du soja, des hévéas ou pour creuser une mine de lithium, c’est faire disparaître les esprits liés aux arbres, l’esprit des oiseaux, celui´du ruisseau et peut-être la mémoire des morts qui sont sous terre.
5 La dimension spirituelle
51 Immanence et transcendance
Je précise bien que je parle de spiritualité au sens philosophique du terme, et non religieux.
Pourquoi une dimension spirituelle ? Parce que la crise écologique nous rappelle que l’homme n’est pas tout puissant, qu’il y a une puissance qui le dépasse. Et que l’on appelle en philosophie la transcendance, que l’on oppose à l’immanence.
On peut appeler cette puissance comme l’on veut. Pour James Lovelock, un chimiste anglais spécialiste de l’atmosphère, c’est Gaïa, du nom de la déesse grecque. Pour d’autres ce sera Dieu. Pour d’autres encore une puissance céleste inconnue mais bien présente.
Cette transcendance pose problème dans notre société. Nous avons renversé un roi qui exerçait son pouvoir au nom de Dieu, par des élus supposés ne pas avoir de pouvoir au-dessus d’eux. Ils présentent un programme, dont ils sont seuls responsables. Reconnaître que leur pouvoir est limité remet en cause la notion même de pouvoir. Voir Murray Bookchin.
On distingue une spiritualité verticale et une spiritualité horizontale. La dimension verticale est celle dont je viens de parler. La dimension horizontale c’est le fait de dialoguer avec les non humains avec qui nous vivons. Les animaux bien sûr, mais aussi les végétaux, un Indien qui coupe un arbre commence par lui parler, lui dire qu’il a besoin de ce bois mais qu’il n’en prendra pas plus qu’il n’en a besoin. Comme Yakari qui va voir le bison blanc pour lui demander de faire sortir son troupeau car sinon la tribu de Yakari va mourir de faim. Le bison accepte car il sait que ces Indiens prélèveront des animaux avec mesure. Baptiste Morizot (Manières d’être vivant) parle de relations diplomatiques avec les non-humains. Et l’on peut même aller un peu plus loin, Aldo Léopold se demande pourquoi les hommes tuent les animaux dans la montagne, alors que ceux-ci contribuent de fait à la préservation du sol. Parce que l’homme ne pense pas comme une montagne, parce que l’homme doit apprendre à penser comme une montagne.
52 Notre rapport aux générations futures
Prendre soin des générations futures est une attitude spirituelle. Chacun a ici aussi le choix, soit de considérer que tout va s’arranger et que nous ne sommes pas responsables de l’avenir des générations à venir, soit au contraire que nous en sommes responsables. Pour Hans Jonas (Le principe responsabilité), changer maintenant de mode de vie en sachant que c’est pour un bénéfice que je ne percevrai pas c’est soit faire preuve d’une éthique de responsabilité forte, et/ou, mais ce n’est qu’une hypothèse et ce n’est pas exclusif, se sentir responsable après notre mort, donc se projeter après la mort.
53 Espoir et espérance
La question de l’espérance ne se pose que pour ceux qui ont perdu espoir. Pour ceux qui pensent que l’homme surmontera les difficultés, l’espoir suffit. Pour les autres, il s’agit de passer du désespoir à ‘espérance.
Pour Bernanos[12] « On ne va jusqu’à l’espérance qu’à travers la vérité, au prix de grands efforts. Pour rencontrer l’espérance, il faut être allé au-delà du désespoir. Quand on va jusqu’au bout de la nuit, on rencontre une autre aurore. » Regarder en face le risque d’effondrement pourrait être désespérant. Au contraire, le manque d’espoir ouvre à l’espérance, l’impossible au possible (Jacques Ellul).
[1] Dans la petite production marchande, un artisan par exemple, produit des meubles. Il les vend et récupère de quoi acheter à manger. C’est un système stable, il n’a pas besoin de grandir, sauf si d’autres producteurs produisent à moindre prix et lui prennent ses clients, il faudrait alors aborder la question de la concurrence et de l’entraide (voir Pierre Kropotkine, L’entraide et Pablo Servigne, L’entraide, l’autre loi de la jungle).
[2] Le principe pollueur payeur est assez peu appliqué, la première application fut pour le naufrage de l’Amoco Cadiz en 1978 sur les côtes bretonnes. La taxe carbone commence à être mise en place.
[3] La remise en question du pouvoir induit un débat sur le pouvoir lui-même, la différence entre autorité et pouvoir, un ordre sans pouvoir étant considéré comme supérieur à un ordre sous pouvoir (voir Kropotkine, Bakounine, Proudhon).
[4] Il est vrai que Jeff Bezos a financé la plantation de 20 millions d’arbres dans les villes italiennes, mais il faudrait en planter 600 millions pour absorber le carbone qu’Amazon considère comme ses rejets annuels, et cela ne commencerait que dans 10 ans (1 arbre absorbe en moyenne 10 kg de CO2 par an à partir de sa 10 ème année). Il a aussi annoncé en 2021 1 milliard de dollars pour la ceinture verte en Afrique et a créé en 2019 un fonds de 100 milliards pour la restauration des forêts.
[5] Comme on ne peut pas imposer aux plus pauvres de réduire très fortement leur consommation, c’est aux plus riches de le faire, il nous faut donc réduire les inégalités de revenu et de patrimoine (le patrimoine étant producteur de revenus).
Les débats sont infinis sur ce sujet, Comment réduire les inégalités ?
Jusqu’à présent les économistes classiques répondaient, en augmentant le revenu des plus pauvres, ce que John Rawls définissait de la façon suivante : si la richesse s’accroît globalement et que les pauvres en bénéficient, même moins que les riches, l’équipe est respectée (L’équité comme justice).
Mais aujourd’hui on ne peut plus tenir ce raisonnement puisqu’il faut réduire la production, donc la richesse produite. Deux grandes options :
- Réduire les inégalités à la source, réduire les échelles de salaire. Henry Ford, figure du capitalisme, avait théorisé l’acceptabilité de son système de production de masse : bons salaires pour que les gens soient productifs, qu’ils n’aient pas envie de déserter ses chaînes de montage et un écart de 1 à 40 entre le salaire du patron et l’ouvrier pour éviter l’explosion sociale. Avant lui, le banquier JP Morgan avait fixé le ratio de 1 à vingt. (Taylor disait que dans une entreprise, l’écart entre les plus payés et les moins payés ne devait pas être supérieur à 4),
- Redistribuer les surplus, par l’impôt sur le revenu et l’impôt sur le capital, la taxation de l’héritage…
Si l’on se pose cette question au niveau des relations internationales, cela signifie réduire les écarts de coût de main d’œuvre entre pays, cela réduit l’intérêt de délocaliser.
[6] Cela signifie se déplacer plus lentement, soit en roulant moins vite en voiture, soit en choisissant des moyens plus lents, comme le vélo, les trains inter cité plutôt que les TGV (la SNCF commence à en proposer, et c’est moins cher), le train plutôt que l’avion pour les trajets continentaux et je laisse ouverte la question des trajets intercontinentaux. Il me revient juste le souvenir d’un échange avec un professeur d’université camerounais à qui je disais que j’avais vécu enfant au Cameroun et à qui j’expliquais que nous y étions allés en bateau (c’était en 1956). Il n’arrivait pas à concevoir que ce soit possible, lui qui allait régulièrement en France en avion pour ses travaux de recherche. Ivan Illich proposait de limiter la vitesse des déplacements à 25 km/heure pour éviter la concentration urbaine (La convivialité).
[7] C’est une véritable conversion à laquelle nous sommes appelés, et non une simple transition.
[8] C’est ce que l’homme occidental croit depuis le XVIIe siècle (c’est le naturalisme selon Philippe Descola). Auparavant il était immergé dans la nature, comprenait que les lois de la nature s’imposaient à l’homme. Il était d’accord avec Lao Tseu (Tao-te-King) qui disait que l’homme a toujours intérêt à obéir à la nature car à long terme, c’est toujours la nature qui l’emporte.
Au XVIIe c’est le début des temps modernes, l’homme occidental se croit maître de monde (Romano Guardini). Cette idée est renforcée par le développement de l’industrie, l’exploitation de charbon, puis du pétrole et du gaz. Mais au XXe siècle, nouvelle mutation, ce n’est plus l’homme qui dirige, c’est sa créature, la technique, qui s’émancipe et génère un flux continu d’innovations et de réalisations, sans aucun contrôle social (Jacques Ellul). C’est la fin des temps modernes.
Cette évolution a été favorisée par notre conception des relations homme nature. Si la nature n’est qu’une ressource, on peut l’exploiter sans limite. Au contraire, si elle a une vie propre, une identité, je la respecte, je la protège.
C’est le cas des populations animistes (Amérique du sud et Afrique) qui considèrent que les animaux et les arbres sont différents d’un point de vue physique mais que nous partageons un esprit commun (Descola) ; des totémistes qui considèrent que nous sommes identiques d’un point de vue physique et que nous partagerons un même esprit. Et, jusqu’à la colonisation, ils ont vécu en harmonie avec la nature.
C’est assez schématique, en fait nous sommes tous un peu animistes par exemple si notre voiture ne démarre pas, nous l’apostrophons. Elle est de nature différente de nous mais nous lui parlons. Nous sommes aussi un peu totémistes avec notre chien si nous en avons un.
Il ne s’agit pas d’abandonner notre culture mais de réintégrer les autres conceptions, d’avoir une approche plurielle. Bruno Latour considère même que nous n’avons jamais rompu d’élément le lien nature culture puisque nous vivons dans un univers peuple d’hybrides nature culture : des embryons surgelés, des systèmes experts, des machines numériques, des robots à capteurs, des maïs hybrides, des banques de données, des psychotropes délivrés sur ordonnance, des baleines équipées de radio-sondes, des synthétiseurs de gènes… (Nous n’avons jamais été modernes).
[9] Bruno Latour nous invite à intégrer ce temps composite dans nos conceptions. C’est pour moi une des clefs de la transition, ou conversion, écologique. Souvent les critiques disent aux écologistes. Mais nous n’allons pas revenir à la bougie ? Revenir au niveau de consommation des années 1960 ce n’est pas revenir à la bougie, j’étais né et je vous assure que l’on s’éclairait à l’électricité.
[10] Ouest-France 23 novembre 2022
[11] Le Monde 20 mars 2017
[12] Georges Bernanos, conférence 1945.