Bruno Latour et Nikolaj Schultz, Mémo sur la nouvelle classe écologique, Les empêcheurs de penser en rond, 2021.
La question que posent les auteurs, c’est pourquoi la question de l’écologie est omniprésente et qu’il ne se passe rien ? Pour eux c’est à partir d’une autre logique que la peur de la catastrophe qu’il faut construire une classe écologique, comme il y a eu une classe ouvrière.
Pour les auteurs la classe écologique est déjà dominante (c’est à dire que la majorité de la population a intérêt objectivement a une politique écologique) mais n’en a pas conscience. Ce sont les prolétaires, les féministes, les mouvements post coloniaux… n°42. C’est la question de la conscience pour soi (Marx).
Comme d’habitude Bruno Latour avance une batterie de concepts et de mises en opposition
stimulants :
– L’enveloppement au lieu du développement n° 27
– La prospérité plutôt que la croissance (voir Tim Jackson) n°18
– L’engendrement plutôt que la production et toute une réflexion sur le couple production/reproduction (Marx) n° 13
– La nature n’est pas à protéger, c’est elle qui nous possède n° 31
– Ce qui était ressource, extérieur, périphérique, devient central. La périphérie devient le centre.
– Des muets (le peuple qui ne sait comment exprimer ses doléances) parlent à des sourds (le pouvoir). n° 68.
Leur conviction c’est qu’il faut rediriger nos émotions vers l’écologie, changer d’affect, de façon à ce que l’écologie ne soit pas perçue comme une contrainte ou un retour en arrière mais une marche en avant. N°27.
Leur conviction c’est qu’il faut engager une bataille culturelle, imposer les idées écologistes dans le domaine de la culture, littérature, spectacles, peinture, architecture, cinema… n°52, ce qu’ont fait les révolutions précédentes. Cf. Gramsci.
Nous sommes entièrement d’accord sur l’impératif du changement d’affect, mais peut-on reprendre le même modèle de prise de pouvoir que Gramsci ? N’y a-t-il pas un autre système de repères à introduire ?
Les auteurs notent bien que la prise de pouvoir au nom de l’écologie se heurte à une contradiction puisqu’il s’agirait à la fois de conquérir le pouvoir et d’en modifier l’organisation. N° 59
Mais ils raisonnent uniquement en termes sociaux, pas en termes territoriaux. Notre position est que nous ne pourrons pas faire émerger de classe écologique en gardant le même cadre territorial.
Les auteurs parlent bien du territoire mais sans remettre en cause sa dimension, ils indiquent seulement la nécessité de connaître son territoire, de savoir le décrire n°68. Cela nous semble insuffisant, il faut une réflexion sur la dimension du territoire (Olivier Rey).
Ce n’est qu’à partir de nouveaux territoires, de petites communautés, que nous pourrons faire émerger de nouvelles pratiques, une nouvelle conscience de classe. Sinon nous ne ferions que remplacer un pouvoir par un autre, en reproduisant de fait des rapports de domination qui sont à la base de la crise écologique. Rapports de domination de l’homme sur l’homme et de l’homme sur la nature (voir entre autres Jacques Ellul, Murray Bookchin). Il ne s’agit plus de lutter contre un pouvoir, mais contre le pouvoir, la domination, quelle qu’elle soit.
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