Note de lecture de Baptiste Morizot, Sur la piste animale, Babel, 2021 (2018)
Baptiste Morizot est pisteur de loups, il passe ses jours libres à chercher les traces des loups (et de nombreux autres animaux) dans les montagnes. Ce faisant il piste la trace de l’homme, car il est durant la semaine enseignant en philosophie.
La piste des loups ouvre sur deux pistes. L’une est contemporaine, réapprendre à vivre comme un vivant parmi les vivants, voir tous les signes du vivant autour de soi. L’autre est historique, qui consiste à comprendre comment la chasse par pistage a construit nos compétences cognitives bien avant la révolution néolithique.
Chemin faisant, Morizot écarte toute conception de l’homme comme différent des animaux, toute transcendance. On peut ne pas le suivre sur cette piste, mais la garder en mémoire, tout en se nourrissant de ses réflexions.
Première piste : nous vivons dans un monde plein de signes. Aucun être vivant ne peut vivre sans laisser de traces. Morizot s’oppose ici à Pascal qui écrivait » Le silence éternel des espaces infinis m’effraie « . Les espaces ne sont pas silencieux ni vierges de traces pour qui apprend à regarder, à écouter. Tout vit autour de nous, depuis les lombrics dans le sol aux aigles dans le ciel, les mouches sur la table et les toiles d’araignées. Tout est vivant, comme nous. Se voir comme un vivant parmi les vivants apprend à les respecter. Morizot dit que nous sommes des néonaturalistes mi animistes mi naturalistes au sens de Descola. Naturalistes car nous pensons que nous sommes constitués des mêmes atomes que les autres vivants. Animistes car en pistant le pisteur s’efforce de penser comme l’animal que je piste pour deviner où il va, il met son esprit dans son corps, donc l’animal a un esprit.
Il s’agit donc, pour vivre en harmonie avec les autres vivant, d’apprendre à les voir, à voir leurs traces. Pas à la manière des encyclopédistes, d’identifier chaque plante et de les classer, mais de voir vivre les animaux, les plantes, les roches. De repérer le type d’écorce appréciée par les chevreuils, les graines recherchées par les geais, les rochers sur lesquels les ours laissent leur trace… cette attention peut nous aider à comprendre les impératifs d’une pratique plus écologique du respect des espaces naturels, de l’eau, de l’air, tout simplement pour que les autres vivants puissent vivre.
Seconde piste : notre mode de pensée, nos compétences cognitives, ont été construites par deux millions d’années de chasse, bien plus que notre expérience, plus récente, de l’agriculture au néolithique (10 000 ans). En effet l’homme des origines chassait en poursuivant, par pistage, sa proie, jusqu’à ce qu’elle soit épuisée et immobilisée par hyperthermie, un phénomène auquel l’homme résiste plus longtemps que les animaux. L’image d’Epinal de l’homme préhistorique abattant les mammouths avec des pieux est fausse.
L’homme sortant de la forêt et ayant occupé les savanes à dû passer d’un régime fructivore qui met en œuvre la vue à un régime carnivore mais sans avoir l’odorat des animaux carnivores. Il a donc développé des compétences cognitives particulières, la capacité d’imaginer à partir de ce qu’il voyait. L’homme est devenu un pisteur sans proie et a réorienté es compétences.
L’homme a donc développé la séquence cognitive abduction (élaboration d’hypothèses) – déduction – induction, la production d’hormone associée, la dopamine, toujours en œuvre aujourd’hui. Ce qui nous motive c’est de chercher plus que de trouver. Don Quichotte en est un exemple illustratif.
Le pistage serait à l’origine de trois autres capacités. La capacité d’attendre, la suspension du jugement, le report de la décision en l’attente d’indices complémentaires. La capacité à délibérer, a débatte, sur la piste à suivre entre chasseurs, pratique observée aujourd’hui encore chez des peuples aborigènes. L’empathie car le pisteur doit s’imaginer à la place de l’animal qu’il poursuit pour pouvoir le suivre.
Nous avons ensuite applique, étendu, ces compétences à d’autres domaines que la chasse par le mécanisme de l’exaptation, à la littérature, l’art, la science… l’écriture par exemple, qui consiste à lire des signes, pourrait provenir des compétences développées dans le pistage dit spéculatif, de la réserve exaptative déposée en nous.
Exaptation : changement imprévu de fonction. Par exemple les plumes des dinosaures, ancêtres des oiseaux, avaient pour première fonction la régulation thermique du corps ou la parade. Ce n’est que dans un second temps qu’elles ont permis le vol.
Voir aussi sur les origines du pistage : Louis Liebenberg, The art of tracking, David Philip, Claremont, 1990.