Comment découpler notre recherche de bien-être et notre consommation d’énergie ? Deux chercheuses anglaises, Lina I. Brand-Correa et Julia K. Steinberger, viennent de publier un article sur le sujet dont nous retenons deux idées force, pas si nouvelles, mais dont la présentation synthétique m’a intéressé : la relation entre bien-être et énergie dépend d’abord de notre conception du bien-être, la consommation d’énergie doit être analysée selon les deux lois de la thermodynamique.
Le concept de bien-être est basé soit sur une approche hédoniste ou épicurienne de maximisation du plaisir (école utilitariste de Jérémy Bentham, interprétation dévoyée de l’hédonisme d’Epicure qui recommandait d’éviter les excès), soit sur une approche eudémonique d’épanouissement de l’homme (Socrate, Aristote).
La conception hédoniste est dominante dans l’idéologie et dans l’économie et conduit à assimiler le bonheur à la maximisation de la quantité de biens, à le mesurer par le PIB par exemple.
La conception eudémonique est portée entre autres par Amartya Sen et sa théorie des capabilités c’est à dire que chacun puisse exprimer ses potentialités, ait la capacité à faire des choix positifs. L’IDH indicateur de développement humain se rapproche de cette conception (imparfaitement puisqu’il comprend pour un tiers le PIB).
Ce qui est fondamental c’est que la conception hédoniste ne peut pas prendre en compte les phénomènes trans générationnels, le sort des générations futures, puisque c’est une conception statique basée sur des réalités individuelles. Ceci a des conséquences importantes pour l’attitude face au changement climatique.
Au contraire une conception eudémonique qui replace l’objectif d’épanouissement dans son contexte social, peut prendre en compte les objectifs de long terme et donc les enjeux trans générationnels et climatiques.
La conception hédoniste tend à ramener toutes les ressources à une seule dimension, donc à les considérer comme substituables (une perte en aliments peut être compensée par un gain en production de loisirs), alors que la conception eudémonique reconnaît la non substituabilité des dimensions économique, sociale, environnementale qui concourent chacune de façon spécifique à l’épanouissement de l’homme. On reconnaît la la différence de construction entre des indicateurs économiques comme le PIB d’un côté, les neuf frontières de la planète de l’autre, le développement durable faible (substituable) ou fort (non substituable).
Plus important encore, la conception hédoniste s’appuie essentiellement sur des théories économiques (voire économétriques) et psychologiques (psychologique car elle considère l’homme comme un individu isolé), alors que la conception eudémonique s’appuie sur la sociologie, l’économie politique et le développement international.
Seconde partie de la réflexion, l’analyse de l’énergie est souvent focalisée sur l’énergie primaire ou l’énergie finale, plus rarement sur l’énergie utile (exergie, calculée en tenant compte du contexte et de la qualité de l’énergie), encore moins sur le service rendu car il est lui-même calculé dans des unités incompatibles avec celles de l’énergie : lumen pour l’éclairage, bytes pour les communications, passagers km pour les transports… Il y a différentes manières d’améliorer notre utilisation de l’énergie, dont d’abord l’amélioration de l’efficience de la chaîne de transport de l’énergie primaire à l’énergie finale. Il y a ensuite le passage de l’énergie finale à l’énergie utile puis au service. La première partie relève plus de la première loi de la thermodynamique (conservation de l’énergie), avec des pertes le plus souvent en chaleur, la seconde de la deuxième loi dite d’entropie, d’énergie non récupérable, le système utilisateur étant défini comme une structure passive qui absorbe l’énergie, on pourrait le comparer à un trou noir. Pour cette dernière étape l’amélioration consiste à choisir le meilleur système de conversion mais en tenant compte des pertes de la chaîne énergétique et de la meilleure structure territoriale de consommation et production (produire et consommer local), mais aussi… à limiter nos besoins.
Source
A Framework for Decoupling Human Need Satisfaction From Energy Use
Lina I. Brand-Correa ⁎, Julia K. Steinberger
Sustainability Research Institute, School of Earth and Environment, University of Leeds, Leeds LS2 9JT, UK