Tuvalu Noah Harari, Sapiens, une brève histoire de l’humanité, Albin Michel, 2015
Voilà un livre qui me laisse un goût amer. Il commence très bien tant qu’il est dans son domaine de compétences historiques, puis se perd dans des considération philosophico politiques, ente clairvoyance et cynisme, qui me mettent mal à l’aise. Il y a pourtant des trouvailles de formules que je ne renie pas. Et à la réflexion, on peut en tirer une plus grande argumentation des luttes à mener. Voir notre conclusion.
Les compétences de nos ancêtres
Le début c’est avant le néolithique et c’est ce que j’ai le plus apprécié. N’étant pas un spécialiste de l’histoire, la révolution cognitive de – 70 000 ans est fort intéressante. Ce serait l’explication de la suprématie d’Homo Sapiens sur les autres espèces humaines, Neandertal ou Dénisoviens.
Cette révolution cognitive, par une mutation accidentelle ?, a permis les invention les plus importes comme la roue ou l’agriculture. Les Homo Sapiens avaient besoin de toutes leurs facultés pour survivre dans leur environnement, qu’ils connaissaient bien mieux que nous. Et » tout indique que la taille du cerveau moyen des Sapiens a bel et bien diminué depuis l’épique des fourrageurs » P 66.
Ils étaient capables d’exploiter toutes les ressources naturelles, des plantes, du bois, des os, des pierres…
Aujourd’hui » il faut être féru dans son tout petit domaine d’expertise mais, pour la plupart des nécessités de la vie, on s’en remet aveuglement à l’aide d’autres connaisseurs dont le savoir se limite aussi à un minuscule domaine d’expertise…. On allait pouvoir survivre et transmettre ses gènes ordinaires en travaillant come porteur d’eau pu sur une chaîne de montage. »
Selon l’auteur les chasseurs cueilleurs de nos jours dans des lieux inhospitaliers comme,un désert travaillent de 35 à 40 h par semaine : chasse un jour sur trois, et glanage pendant 3 à 6 h par jour. Il ajoute que dans des lieux plus fertiles le temps de travail était sans doute plus réduit. -[ceci est assez différent des estimations de 3 à 4 h par jour des anthropologues ?].
L’extinction des gros animaux
On dit souvent que la dernière extinction massive date du jurassique il y a 60 millions d’années. L’auteur met en évidence une autre phase d’extinction massive des gros mammifères, il y a 45 000 ans en Australie ou 90% de la mégafaune disparut avec l’arrivée d’Homo Sapiens, puis il y a dix mille ans environ, avec la colonisation par Homo Sapiens de l’Asie, l’Europe puis les Amériques. Chaque fois la faune des gros animaux à subit des pertes énormes. St cela a continué plus récemment au fur et à mesure de l’arrivée de l’homme sur des îles encore non colonisées.
Il est important d’avoir en mémoire ces deux phases d’extinction car aujourd’hui ce sont les gros animaux marins qui sont menacés. Si nous continuons ainsi » Parmi les plus grandes créatures du monde, les seuls survivants déluge humain sont les hommes eux-mêmes et les animaux de ferme réduits à l’état de galériens dans l’arche de Noé » P 97.
Progression de la complexité et de l’unité du monde
On croirait lire Teilhard de Chardin et sa loi de complexité conscience :
« Au fil des millénaires des cultures petites et simples se fixent progressivement en civilisations plus vastes et plus complexes… L’histoire progresse implacablement vers l’unité. » P 198-199
Si l’on dénomme monde un ensemble humain totalement isolé des autres, on en comptait plusieurs milliers il y a 10 000 ans, quelques centaines il y a 2 000 ans. Au premier millénaire avant notre ère apparurent trois ordres potentiellement universels : la monnaie, l’empire, la religion.
Et au XVe siècle 90% de la population mondiale vivait dans un seul monde.
La monnaie a permis de faire coopérer des millions d’hommes. mais elle a une face cachée dont on voit les effets délétères arriver aujourd’hui à leur sommet : « Quand tout est convertible, quand la conductance dépend de pièces anonymes et de cauris, elle corrode les traditions locales, les relations intimes et les valeurs humaines… » P 222.
» Des parents ont été réduits à vendre quelques-uns de leurs enfants en esclaves, de fervents chrétiens ont… acheté le pardon de l’Eglise… Des terres tribales ont été vendues à des étrangers » P 223
Ce que l’on voit avec la marchandisation des corps, celle du temps libre…
L’empire est un ordre politique qui comprend plusieurs distincts ayant une identité culturelle et un territoire (entre cinq ou six et moins d’une vingtaine), dont les frontières flexibles permettent une expansion quasi illimitée.
On pourrait voir arriver prochainement un empire mondial, puisque les problèmes auxquels nous sommes affrontés comme le changement climatique, sont mondiaux. Aucun Etat ne peut lutter seul. Aucun Etat n’est indépendant. Les élites se ressemblent de plus en plus. [Cette affirmation fait l’impasse sur les tendances nationalistes en réaction à la mondialisation].
Cette affirmation est aussi un peu contredite par les réflexions, intéressantes, sur la vision globale des peuples. C’est par leur vision globale du monde que les occidentaux ont pu conquérir l’Amérique du sud, l’Afrique et s’implanter en Asie. C’est par l’acquisition de cette vision globale que les algériens purent résister au gouvernement Français, les vietnamiens gagner contre les USA (P 347). Mais on a alors des visions du monde qui s’opposent.
Elle est contredite aussi par la description du pouvoir des multinationales qui dépasse celui des États. L’histoire commence au XVIIe siècle avec la compagnie des Indes orientales qui dirige l’Indonésie, la compagnie du Mississippi qui dirige la Nouvelle-Orléans, la British East India Company qui dirige l’Inde pp 379-380. Et maintenant les GAFA.
Concernant les religions qui sont « un système de normes et de valeurs humaines » , l’auteur prévoit leur disparition car pour lui nous n’avons pas d’âme, pas de liberté, mais nous sommes entièrement déterminés par nos hormones et nos gènes, par notre être biologique, comme les fourmis (P 277). C’est oublier notre capacité de réflexion, la révolution cognitive dont l’auteur parle au début de son livre.
Le paradigme technocratique
La suite du livre aborde la situation contemporaine. Et d’abord l’alliance entre la recherche, le pouvoir et les ressources, c’est à dire l’économie. On est là assez proche du concept de paradigme technocratique de Giordini repris par le pape François (Laudato si 332).
La première innovation est de reconnaître que nous ne savons pas, et que nous allons rechercher. Ce qui n’était pas une posture commune dans l’antiquité.
La seconde est de transformer le savoir en technologies.
La troisième est de produire à partir de ces technologies (en Chine la poudre a longtemps servi à faire des feux d’artifice, pas plus)
La quatrième est de faire dépendre le financement de la recherche de décisions politiques, le politique se servant des résultats pour renforcer son pouvoir (militaire, de surveillance, dans la compétition économique…).
Comme l’énonce Francis Bacon en 1620, « savoir c’est pouvoir », peu importe que cette connaissance soit juste, l’important c’est qu’elle soit utile. Une véritable révolution conceptuelle.
[Une révolution à remettre en cause aujourd’hui ? Casser ce lien morbide entre savoir et pouvoir, qui met en cause notre liberté, en limitant le développement du lien entre les deux qui est l’économie. Mais comme Harari ne nous reconnaît pas de liberté propre, cette proposition doit lui sembler absconde].
Un scientisme obscurantiste et cynique
La mise en évidence de ce paradigme, après 300 pages environ, est un tournant dans le livre. On a jusqu’à présent une analyse claire, parfois brillante dans son expression, de l’histoire des hommes. L’on assiste ensuite à des évocations philosophico politiques assez hasardeuses et à notre avis dangereuses.
Cela commence par une présentation optimiste du projet Gilgamesh visant à l’a-mortalité de l’homme. Pas immortalité car un homme peut toujours avoir un accident, mais a-mortalité car on saurait pallier à toutes les maladies et au vieillissement « Le grand profit de la révolution scientifique est d’apporter à l’humanité la vie éternelle » P 314. Et plus loin « Quelques chercheurs sérieux suggèrent qu’en 2050 certains hommes deviendront a-mortels » P 318. « La science et le capital sont toujours plus forts » P 332. Tout est dit. Vive le transhumanisme, aucune réflexion sur les conséquences anthropologiques puisque nous ne sommes que des cellules, celle sur les inégalités viendra mais tard, page 452 » ceux qui ne pourront s’offrir les nouveaux traitements miraculeux – l’immense majorité des gens – seront fous de rage ». La seule égalité réelle, devant la mort, disparaîtrait. Et ceux qui en bénéficieraient seraient en permanence inquiets d’un accident ou de la perte d’un proche. « Notre monde … est sur le point de créer la plus inégale de toutes les sociétés » P 484 entre les hommes modifiés capables de vivre éternellement, de transmettre leurs pensées d’une mémoire mille fois supérieure aux nôtres, et les autres. Le Meilleur des mondes est pour bientôt !
C’est inquiétant mais inévitable selon Harari car cette recherche d’immortalité (pour quelques-uns) se fait sous couvert de « guérir et sauver des vies humaines ». P 488. Nous ne pouvons donc plus nous poser la question de ce que nous voulons devenir, mais seulement de ce sous voulons vouloir. Une pirouette finale qui lui donne le frisson car pour lui l’avenir est déjà écrit.
Harari reprend ensuite la question de la monnaie et du crédit. Le développement du crédit vient de ce que l’on pense désormais que le gâteau total, la somme des richesses, peut croître indéfiniment grâce à la science. Il est donc justifié de faire crédit puisque l’on peut gagner plus en s’endettant. [impasse totale sur les limites ses ressources]. Harari a à la fois une grande confiance dans la science mais aussi quelques doutes P 369 :
« La croyance du capitalisme en une croissance économique perpétuelle va contre tout ce que nous savons où presque de l’univers. »
« La croissance économique nécessite aussi énergie et matières premières. Or celles-ci ne sont pas infinies. Si elles s’épuisent c’est tout le système qui s’effondrera » P 391
Trouver de nouvelles ressources grâce à la science. Mais « si les labos ne répondent pas à ces attentes [l’innovation perpétuelle] avant que la bulle [financière] n’explose, nous allons au-devant de temps très rudes ». P 369.
Mais l’optimisme béat reprend le dessus bientôt. « La seule limite est celle de notre ignorance… Le monde ne manque pas d’énergie [le soleil]. … Ce qui nous manque c’est uniquement les connaissances nécessaires pour la domestiquer » P 397.
Même chose pour les ressources : » les ressources à disposition de l’humanité ne cesseront de croître » P 412.
Ce qui inquiète néanmoins l’auteur c’est la dégradation écologique et le réchauffement climatique. En luttant contre ces phénomènes « les hommes pourraient bien cause plus d’effets pervers imprévus et dangereux… qui ne manqueraient pas de produire un chaos encore pire ». P 412.
En attendant le cynisme règne : « la croissance de l’économie moderne pourrait bien apparaître comme une colossale imposture… Cela n’empêche pas que beaucoup vivent dans la la faim et le besoin » P 389. Mais la religion nouvelle étant le capitalisme, « la plupart des gens n’ont aucun mal à se hisser à la hauteur de l’idéal capitalisco-consumeriste. La nouvelle éthique [sic] promet le paradis à condition que les riches restent cupides et passent leur temps à se faire du fric, et que les masses lâchent la bride à leurs envies et à leurs passions, et achètent de plus en plus. »
Sommes-nous plus heureux ?
Nos capacités se sont accrues tout au long de l’histoire mais sommes-nous plus heureux ? Non répond Harari. Les agriculteurs travaillent plus que les fourrageurs, la puissance acquise par les occidentaux n’a pas fait le bonheur des esclaves africains, et « il n’est pas exclu que le court âge d’or du dernier demi-siècle ait semé les germes d’une catastrophe future… écologique. » P 445. En fait le bonheur dépend d’abord de l’écart entre les conditions (objectives) et les attentes (subjectives) P 449.
Mais comme nous sommes des quasi Dieux, dont la puissance n’a pas de limite, nous cherchons continument nos aises et notre amusement au détriment des autres animaux traités comme des esclaves et de la nature. Conclusion : » Y-a-t-il rien de plus dangereux que des Dieux insatisfaits et irresponsables qui ne savent pas ce qu’ils veulent ? » P 492. Mais de quel côté est l’auteur ? D’un côté des irresponsables puissants, ou du côté des opprimés ? Comme le disait déjà Einstein, les coupables ce ne sont pas ceux qui font le mal, ce sont ceux qui le voient et laissent faire.
Notre conclusion : il est urgent de lutter contre les transhumanistes d’une part, et contre le paradigme technocratique en s’attaquant au primat de l’économie d’autre part. Sur le premier plan c’est se retirer des eaux des GAFA en utilisant les systèmes libres (Qwant, Framasoft / Google; votre libraire local / Amazon ; pas de Facebook ; Linux / Apple…). Sur le second c’est adopter un mode de vie le plus sobre possible, réparer, échanger, acheter moins et auto produire, seul ou en groupe. Pas facile, mais nécessaire.