La Décroissance au prisme de la modélisation prospective

Francois Briens. La Décroissance au prisme de la modélisation prospective : Exploration macro-économique d’une alternative paradigmatique.

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Voici une thèse d’économie fort intéressante ; l’auteur tente de modéliser la manière dont pourraient évoluer certaines dimensions quantitatives du système socio-économique français, selon des scénarios visant à la fois une soutenabilité sociale et environnementale. Nous n’avons jusqu’à présent que des évaluations sectorielles non systémiques : il est possible d’évaluer l’impact d’une augmentation de la densité d’habitation par logement, mais seulement sur la consommation d’énergie, pas sur l’ensemble du système. On peut évaluer l’impact d’un régime alimentaire moins carné sur l’empreinte écologique, pas directement sur l’emploi. C’est tout l’intérêt de cette thèse. De plus le modèle utilisé pourrait être mis en libre accès, c’est du moins l’intention de son auteur, on attend l’accord du laboratoire de recherche.

Bien entendu, modélisation et simulation ne signifient pas prédiction. Les résultats sont un exercice qui permet de penser, de préparer, pas de prévoir.

Le lecteur pressé serait tenté d’aller directement au chapitre 5 qui présente les résultats de ces travaux. Mais l’auteur considère que les résultats de ce type de modélisation ne veulent rien dire si on n’a pas une idée un tant soit peu précise de comment ils ont été obtenus, c’est à dire une idée des hypothèses précises qu’on a choisies en amont, et de la façon dont ces hypothèses sont travaillées pour donner ce résultat…

Il est donc conseillé de s’intéresser auparavant à la présentation des thèses de la Décroissance (chapitre 1), à la discussion sur la modélisation (chapitre 2), aux choix techniques faits pour le modèle (chapitre 4).

Avant de présenter quelques-uns de ces résultats, soulignons l’un des choix théoriques faits, celui de l’indépendance entre la productivité du travail et l’intensité de capital, donc entre le travail et le capital (p. 238). Les coefficients de ces deux facteurs peuvent être définis indépendamment l’un de l’autre dans le modèle, contrairement aux modèles dits de Cob-Douglass où les deux facteurs sont liés par un facteur de substitution fixe capital-travail. Cette question est également au centre de notre article sur l’avenir du travail.

Bien sûr il y a une relation entre le travail et le capital, mais elle peut varier en fonction des choix politiques faits, et le modèle permet de fixer ces valeurs en fonction des choix.

Avant de construire ce modèle, François Briens avait étudié l’idée d’adapter le modèle canadien « LOWGROW » de Peter Victor au cas de la France. Ce modèle comportait (entre autres équations qui me paraissaient très insatisfaisantes, du moins pour le cas français) une relation Cobb-Douglass. L’estimation économétrique de relations de type Cobb-Douglass pour les différentes branches de l’économie s’est révélée inapplicable (R² extrêmement faibles pour la très grande majorité des branches, que l’on rentre ou non dans le détail des différents types d’actifs de production) (une autre façon de parler du fameux « résidu » du progrès technique)… Ce n’est guère étonnant quand on se penche sur la définition du capital (par exemple, la distinction entre capital et consommation intermédiaire dans la compta nationale est purement conventionnelle…), ou que l’on considère l’évolution des techniques de production avec un regard d’ingénieur…

Quelques résultats :

Le scénario de croissance verte (scénario vers lequel prétendent s’orienter nos gestionnaires actuellement) et étudié en appliquant l’hypothèse très optimiste de « gains annuels d’efficacité énergétique et de rythme de réduction des intensités émissives globalement deux fois supérieurs à ceux observés sur la période 1995-2012 » et de la disponibilité des matières premières nécessaires à la croissance de la production. Ce scénario se traduirait sur la période 2010-2060 par une diminution de notre Empreinte énergétique de 37 %, de l’indicateur « acide équivalent » de 69 % et du pouvoir de réchauffement global (effet de serre) de 67 %. Du point de vue économique et social, le taux de chômage deviendrait nul et le ratio dette/PIB passerait de 84 % à 59 %. Tout bon ? Non car « l’objectif politique du « facteur 4 » n’est donc pas atteint dans ce scénario » et que « r(lui-même insuffisant) apportée au nombre d’habitants, cette empreinte est encore de 3.6 tCO2eq/personne/an en 2050, et atteint 3 tCO2eq/personne/an à l’horizon 2060. ». On constate également dans le modèle « une augmentation de la quantité de déchets générés, en particulier de déchets dangereux (+32%). »

L’impact du nombre de personnes par ménage

« On observe par exemple qu’une augmentation moyenne de +0.5 personnes par ménage d’ici 2060 ─ ce qui équivaudrait à peu près, en termes de taille moyenne globale des ménages, à un retour à la valeur de l’année 1990 ─, induit dans le modèle une diminution de la consommation agrégée et de la production d’environ 4.4%, une réduction de la demande de travail de près de 3%, une atténuation de l’empreinte énergétique, de l’empreinte GES, de l’empreinte en émissions relatives à l’acidification, et de l’empreinte eau d’environ 2.8%, 2.6%, 1.5% et 1.3% respectivement. Les impacts en termes de réduction du tonnage de déchets sont particulièrement significatifs:-4.7% de production annuelle de déchets dangereux, et -7.2% de déchets non dangereux, l’ampleur de ce dernier chiffre s’expliquant notamment par l’impact marqué sur le secteur de la construction, lequel est responsable de l’essentiel du tonnage de déchets (près de 74% des déchets du secteur marchand en 2008 (Conseil général de l’environnement et du développement durable, 2010b), la plus grande partie – plus de 75% – étant des déchets minéraux). »
P 264

C’est un sujet à notre avis fondamental, la course à la dé densification de l’habitat étant une énorme erreur, mais contre laquelle peu de voix s’élèvent. Nous avons eu ce débat à l’occasion de la préparation du SCOT Nantes Saint-Nazaire, qui prend pour argent comptant les prévisions de baisse du nombre de personnes par logement, ce qui implique une politique de bétonnisation.

Relocalisation de la production

« De manière générale, la réduction des échanges internationaux se traduit par une augmentation de la demande domestique agrégée (la balance commerciale étant initialement déficitaire), celle-ci concernant les consommations effectives des ménages, mais aussi les consommations intermédiaires des entreprises et la formation brute de capital fixe, laquelle est nécessaire pour répondre à cet accroissement de la demande. La production agrégée évolue en conséquence à la hausse, ainsi que la demande de travail. Suivant une approche « production », les impacts associés à cet accroissement de l’activité sur le territoire dépassent les gains liés à la réduction des transports (par exemple, pour la simulation correspondant à la configuration de 1980 : les émissions de GES du secteur du transport diminuent de 7% tandis que celles de l’industrie augmentent de 9%, celles du tertiaire de 2%, etc.), ce qui conduit à une augmentation des impacts environnementaux associés au périmètre géographique français. Cependant, si l’on raisonne en termes d’empreinte, la relocalisation économique se traduit au contraire ici par une diminution des impacts énergétiques et des émissions atmosphériques ; cette diminution étant imputable d’une part à la réduction des flux de marchandises et de personnes (plus de la moitié de la réduction pour les simulations relatives aux configurations de 1980 et d’après) , et d’autre part à la meilleure efficacité énergétique et à la moindre intensité émissive des branches de l’économie française, comparée à celles des pays de provenance de nos importations actuelles (cet effet s’observe en particulier en ce qui concerne les émissions de GES du secteur de l’énergie, compte tenu de la part importante du nucléaire dans le mix électrique français actuel). »
P 267

L’intérêt du modèle est ici de distinguer l’impact interne (empreinte consommation qui augmente) et l’impact global (empreinte totale) qui diminue. On quitte le domaine des affirmations simplistes.

Trois scénarios sont enfin présentés.

Le scénario A est construit avec une légère baisse de la consommation individuelle et une stabilisation de la consommation globale, un revenu de base universel, une augmentation de la productivité horaire et une baisse de la durée du travail, aboutit à une forte réduction de la consommation énergétique (- 65 %), une faible diminution des déchets (- 2,6 %), une légère baisse du taux de chômage, mais une augmentation forte du déficit public.

Ce modèle créé avec le logiciel STELLA® permet de lancer des simulations à l’aide du « lecteur » Isee PlayerTM, mais cette fonctionnalité n’est pas opérationnelle pour le moment.

Economies et finances. Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris, 2015. Français. <NNT : 2015ENMP0052>. <tel-01305956>

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