Cinq cent tonnes de matières premières par personne !

Trois auteurs de l’université de Vienne (Autriche) viennent de faire paraître un article sur la relation entre la consommation cumulée de ressources sur 60 ans et le niveau de bien-être. Ils concluent qu’il existe une corrélation forte entre les deux et se posent des questions sur notre capacité à limiter notre impact sur l’environnement et à améliorer le bien-être des peuples les plus pauvres.

Source: Andreas Mayer, Willi Haas, Dominik Wiedenhofer, How Countries’ Resource Use History Matters for Human Well-being – An Investigation of Global Patterns in Cumulative Material. Ecological economics, volume 134, Avril 2017
http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S092180091630461X

Notre lecture de ce travail fort intéressant se fera en nous posant quatre questions :

  • Si l’on considère que chaque pays dispose d’un droit d’extraction de ressources naturelles, mesuré en tonnes/ha, existe-t-il une limite à ce droit ?
  • L’intérêt des générations futures nous commande-t-elle de limiter notre extraction maximale par ha ?
  • Si l’on admet que le niveau de bien-être est directement corrélé avec le niveau d’extraction de ressources naturelles (mesuré en tonnes par personne), y-a-t-il une limite à l’accumulation de ressources matérielles par personne ?
  • Est-il justifié que les pays qui ont le plus utilisé leurs droits d’extraction diminuent leurs prélèvements par personne de manière à ce que les pays les plus pauvres puissent augmenter le leur sans que cela dégrade trop la situation de notre environnement ?

Avertissements

La quantité de ressources non renouvelables extraites est majoritairement composée de matériaux de construction d’une part, des ressources énergétiques fossiles d’autre part. Le niveau de bien être est effectivement corrélé au logement et aux capacités de chauffage, de déplacement, de communications, qui utilisent ces énergies fossiles. D’autre modes de vie sont possibles qui utilisent moins de ressources. Mais les pays riches n’ont pas à imposer aux pays pauvres le choix de leur mode de vie.

Le niveau de bien-être utilisé est l’indice de progrès social de Porter qui n’intègre que des données sociales et environnementales et pas de données économiques.

Les données d’extraction portent sur les quantités utilisées (consommation apparente), il faut y ajouter les déchets d’extraction non utilisés, soit un coefficient de 2 pour la France.

 

La limite de l’extraction par ha

L’extraction de ressources non renouvelables par ha sur la période 1950-2010 atteint en moyenne 590 t/ha pour l’Europe, dix fois moins pour l’Amérique du sud (sauf le Chili à cause du cuivre) ou l’Afrique (sauf l’Afrique du sud à cause du minerai de fer). Certains pays atteignent plus de 1000 t/ha du fait de l’extraction de charbon, de pétrole ou de gaz. Y-a-t-il une limite ? Reprenons le maximum de 1000t/ha, cela correspond à 100 kg/m2 en données apparentes, 200 kg/m2 en consommation totale.

La densité de la terre végétale étant d’environ 1,4 t/m3, 200 kg correspondent à une tranche de 14 cm d’épaisseur sur 1 m2 de surface. Il faudrait faire une moyenne des densités de la terre, des pierres, pour ce qui est de l’exploitation de surface, des minerais, du charbon et du pétrole pour ce qui est des extractions souterraines qui n’ont pas toujours (il y a des mines à ciel ouvert) le même impact environnemental que les extractions de surface. Admettons néanmoins, comme repère provisoire, que l’extraction de l’équivalent de 14 cm de sol sur la totalité de la surface des terres émergées soit un maximum.

Dans ce cas les pays qui approchent cette limite devraient cesser progressivement leur activité d’extraction de matières non renouvelables. Le grand intérêt de ce raisonnement est de calculer en flux cumulé depuis 1950, et non en flux annuel.

En France, le volume de matières non renouvelables extraites en 2013 est de 373 millions de tonnes (volume apparent), soit 410 millions de tonnes en volume réel (le coefficient est de 10 % pour l’extraction intérieure). Ceci représenterait 7,6 tonne/ha/an, soit 456 tonnes sur la période 1950-2010 si le volume d’extraction a été constant sur la période, comme il l’est depuis 1990. On est dans l’ordre de grandeur fourni par l’article cité qui indique un niveau de 590 t/ha pour les pays européens, sachant que la France se situe en dessous de cette moyenne.

Nous aurions alors, en reprenant nos hypothèses ci-dessus, encore 60 ans d’extraction intérieure possible, puis il faudrait fermer toutes les carrières et zones d’extraction de sable qui représentent 98% du total de l’extraction intérieure.

 

Les limites de la consommation de matières par personne

Pour la consommation par personne les auteurs utilisent l’impact direct de consommation de ressources (Dmi Direct matériel impact = extraction intérieure + importations) qui intègre à la fois les ressources renouvelables (productions agricoles, pêche, bois) et non renouvelables. Cet indicateur est passé en moyenne mondiale de 4,6 tonnes/personne/an en 1900 à 10,3 tonnes en 2010 (14,9 tonnes par habitant en France). La médiane de cet impact cumulé sur la période 1950-2010 est de l’ordre de 60 tonnes/tête ce qui signifie que, en moyenne, chaque habitant sur terre a un eu un impact (apparent) de 10 tonnes/an (un peu plus en France selon les données des auteurs : 668 tonnes par habitant sur la période, soit 11 tonnes par an par habitant).

L’impact moyen des pays dont l’indice de bien-être est le plus élevé est de 1100 tonnes, dont une grande partie d’importations, tandis que l’impact moyen des pays dont l’indice de bien-être est le moins élevé est de 168 tonnes. L’écart entre les extrêmes va de 71 tonnes à 2200 tonnes soit un peu plus d’une tonne/an/personne à 36 tonnes/an/personne.

Peut-on définir un maximum pour cet impact ? Difficile à dire car la conséquence environnementale dépend de la densité de la population pour l’extraction intérieure. Mais on peut considérer que le flux cumulé des matériaux représente un capital en bâtiments, infrastructures, machines, mobilier… Est-il justifié d’accumuler (au sens de l’impact) plus de 2000 tonnes de matériaux par personne sur 60 ans alors que d’autres n’en ont accumulé que 70 ?

La discussion est d’autant plus difficile que les auteurs de l’article constatent une relation linéaire entre l’indice de bien-être et l’indice d’impact, alors qu’une démarche assez proche, le croisement de l’empreinte écologique avec l’indice de développement humain (IDH) constate que l’IDH n’augmente plus à partir d’une empreinte supérieure à 3 ou 4 planètes (mais la composante économique de l’IDH est plafonnée et les composantes santé et éducation sont asymptotiques par construction, ce qui peut expliquer une partie de ce comportement asymptotique ?).

Conclusion

L’objectif de ne pas envoyer plus de gaz à effet de serre dans l’atmosphère apparaît à beaucoup bien vaporeux. Proposer comme objectif de progressivement cesser de creuser le sol qui est sous nos pieds serait-il plus concret ? Pour nous qui avons déjà accumulé sans doute plus de 600 tonnes par personne sur 60 ans (10 à 12 tonnes par an, sans compter les déchets non utilisés), le temps n’est-il pas venu de changer ? Comment ?

En construisant avec des matériaux recyclés sur les chantiers – cela commence à se faire – ou en matériaux renouvelables (bois, paille),

En entretenant nos biens pour les faire durer : meubles, équipements électriques, véhicules…

En limitant au maximum l’usage des énergies fossiles.

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