La vie des plantes nous parle de nos vies

Emanuele Coccia, La vie des plantes, Payot, 2016

Un philosophe qui a fait des études en lycée agricole et en a conçu un véritable amour des plantes. Un philosophe qui navigue entre Linné et Aristote, la théorie de l’origine des racines et Saint Augustin, voilà qui promet.

Il y a des développements proprement philosophiques qui m’ont moins parlé, mais des passages botanico-philosophiques passionnants. J’en retiens :
Une définition élargie des écosystèmes,
La critique de la notion d’adaptation dans l’évolution au profit de la transformation réciproque,
La notion de cerveau élargi et de cerveau planétaire,
Et une belle définition des plantes à fleurs : un rêve sans conscience.
La non différence entre contemplation et action mériterait des développements mais je ne sais pas quoi en penser pour le moment.

Le lecteur pourra prendre connaissance avec intérêt des commentaires de Jean-Noël à la fin de l’article.

L’idée de fond est que tout est dans tout, non pas au sens figuré mais au sens propre. L’homme respire les gaz dégagés par les plantes, ingère donc la vie et la substance des plantes. Les poissons se nourrissent des débris des végétaux ou d’autres animaux. La vie des autres est en nous. Tout est en tout. Cette interdépendance totale va plus loin que la définition habituelle des écosystèmes, systèmes de relations entre des organismes indépendants au sens de délimités. Aucun organisme vivant n’est séparé des autres.  » L’organisme n’est que l’invention d’une nouvelle manière de se mélanger au monde et de permettre au monde de se mélanger à l’intérieur ».
Coccia ne cite pas, mais il aurait pu le faire, la notion de clôture organisationnelle de Francisco Varela.

Il n’y a donc pas de différence entre contenu et contenant puisque nous sommes les deux à la fois. Nous sommes l’eau que nous buvons, nous sommes l’air que nous respirons.
L’atmosphère n’est pas un milieu dans lequel nous évoluons, c’est un produit de la respiration des plantes qui se nourrissent du gaz carbonique que nous expirons. « Les plantes sont le souffle des êtres vivants ». C’est d’ailleurs l’apparition de l’oxygène qui est à l’origine de la première grande extinction des espèces, des bactéries anaérobies, à la fin du cambrien, l’apparition du « phytocène » dit Natasha Myers. Joli néologisme qui fait pendant à celui d’anthropocène, deux dénominations plus parlantes que dévonien et quaternaire.
« L’atmosphère n’est pas une région indépendante de la vie » écrit Vernadski, mais bien une expression de la vie. « L’atmosphère est fondamentalement un fait ontologique ».
Coccia critique donc la notion de « milieu ». Il n’y a pas de milieu puisque nous sommes ce milieu. L’adaptation au milieu est une notion douteuse puisque nous produisons le milieu, nous modifions le milieu et nous modifions nous mêmes. Il ne s’agit pas de compétition dans un espace donné, mais de transformation réciproques.

Il n’y a pas de différence entre contemplation et action, puisqu’il n’y a pas de différence entre mouvement et arrêt, puisque tout est échange et fluidité. Nous respirons en permanence, les plantes aussi. Comme la contemplation se définit par un moment d’arrêt, elle ne se sépare plus de l’action, elle en est un des moments. Ignace de Loyola qui recommandait de Contempler dans l’action, s’y retrouverait bien.
Plus encore, la plante est peut-être l’être le plus apte à la contemplation puisqu’elle est immobile du point de vue de son ancrage terrestre.

La plante est-elle capable de contempler ? Grave question. Peut-elle penser ? A la fin de son ouvrage Coccia affirme que la pensée c’est le savoir dans la matière et que selon cette définition les plantes ont un savoir, puisqu’elle ont des gènes qui définissent les formes qu’elles vont développer. Ce n’est pas un savoir réflexif, mais c’est une forme de savoir. Le cerveau neuronal est une forme d’intégration du savoir dans la matière, ce n’est pas le seul. Voilà une autre façon d’exprimer ce que dit Teilhard sur la continuité de la conscience de la roche à l’homme.
Et si le cerveau c’est le savoir dans la matière, alors les plantes, par leurs racines, transforment le sous-sol « en un immense cerveau planétaire où circulent la matière, mais aussi les informations sur l’identité et l’état des organismes,qui peuplent le milieu [ah, difficile de n’a pas utiliser ce mot ?] environnant. » La notion de cerveau planétaire à été développée par Anthony J. Trewavas (2003) mais est déjà présente dans les derniers textes de McLuhan (1978). Coccia cite aussi le concept de Gaïa de Lovelock qui lui parle d’homeostasie de la Terre.
Dans les plantes le cerveau serait représenté par les gènes dans les graines qui lui permettent de grandir sans erreur. Le cerveau n’est pas un organe mais une qualité de la matière qui comprend du savoir et de la connaissance.

La comparaison des végétaux et des animaux est l’occasion de longs développements. Citant un ouvrage de chimie de 1844 il nous dit que les végétaux sont l’inverse des animaux : « si le règne animal est un immense appareil de combustion, le règne végétal constitue, à son tour, un immense appareil de réduction » [la combustion c’est une perte d’électrons comme la captation de l’oxygène de O a O–, la réduction c’est un gain d’électrons comme la libération de l’oxygène de O– à O].
Les plantes sont les seuls êtres vivants qui vivent dans deux milieux différents, le sol et l’air. Ce sont les seuls êtres qui font la liaison entre ces deux milieux. Ce sont des êtres de passage, qui assurent le passage. Bien plus signifiantes que de simples pots de fleurs.
Revenons à la conscience. Les fleurs ont des formes dont l’imagination nous laisse admiratif, elle sont faite d’une « matière qui est un rêve sans conscience ». Mais un rêve, une fantaisie créée par la matière « animée par une sorte d’imagination transcendantale ».

2 commentaires sur “La vie des plantes nous parle de nos vies

  1. Merci Arnaud pour ces notes de lecture particulièrement intéressantes . Le biologiste végétal que je suis ne peut s’empécher de réagir toutefois à ce qui me parait être de la part de l’auteur un excés de lyrisme dans son éloge de la plante et des abus conceptuels dans l’utilisation qu’il fait des mots cerveau et pensée. Je me limite à en donner quelques exemples. Les parties commentées de ton texte sont entre guillemets. Mes commentaires non.

    « Une belle définition des plantes à fleurs : un rêve sans conscience ».
    C’est trés joli sur le plan poétique mais le rêve n’existe pas sans conscience. Ce ne peut donc être une définition. Et pourquoi seulement les plantes à fleurs ? Si l’image poétique du rêve vient ici suggérer la beauté des fleurs, cette notion même est anthropique et n’a de sens que parce que nous avons nous même une conscience !

    « Il n’y a donc pas de différence entre contenu et contenant puisque nous sommes les deux à la fois. Nous sommes l’eau que nous buvons, nous sommes l’air que nous respirons. »
    Il me semble que cette totologie est philosophiquement contestable. Nous ne sommes pas justement ce dont nous sommes constitués. Nous sommes constitués d’eau mais nous ne sommes pas de l’eau ! Nous ne sommes pas ce que nous mangeons parce que notre génome ne devient pas celui de nos aliments. Je ne deviens pas une laitue parce que je mange de la salade. Et nous ne sommes pas la somme de ce qui nous constitue !

    « Il n’y a pas de différence entre contemplation et action, puisqu’il n’y a pas de différence entre mouvement et arrêt, puisque tout est échange et fluidité. Nous respirons en permanence, les plantes aussi. »
    On joue ici sur les mots car on compare des réalités physiques à des actions psychiques : contempler est une action psychique qui peut s’accompagner d’une immobilité physique mais fort heureusement on continue à respirer et donc notre organisme reste actif …

     » Plus encore, la plante est peut-être l’être le plus apte à la contemplation puisqu’elle est immobile du point de vue de son ancrage terrestre. »
    Désolé mais c’est un magnifique syllogisme, l’immobilité ne définit pas la contemplation! De plus la plante n’est pas inactive puisque selon la définition du début elle respire, transpire, absorbe l’eau et photosynthétise ce qui est un véritable travail énergétique …

    « Et si le cerveau c’est le savoir dans la matière, alors les plantes, par leurs racines, transforment le sous-sol « en un immense cerveau planétaire où circulent la matière, ….Dans les plantes le cerveau serait représenté par les gènes dans les graines qui lui permettent de grandir sans erreur. Le cerveau n’est pas un organe mais une qualité de la matière qui comprend du savoir et de la connaissance. »

    Tout ce paragraphe illustre ce que l’on pourrait appeler un « viol sémantique par analogie » sans doute une des plus graves fautes intellectuelles. Le mot cerveau désigne un organe qui n’existe que chez les vertebrés et les céphalopodes. Dans ses formes les plus évoluées il permet une conscience de plus en plus intégrée et réflective du monde qui nous entoure et chez l’homme l’aptitude à la pensée abstraite. On peut par analogie dire que des réseaux d’information complexe comme les informations moléculaires qui pour les plantes, les champignons et les bactéries existent dans le sol sont comparables à un réseau neuronal mais ce réseau d’information n’est en aucune façon intégré et ne peut être assimilé à un cerveau. Dire que le cerveau c’est le savoir dans la matière, c’est conceptuellement exact mais considérer ensuite que quand il y a du savoir dans la matière on a affaire à un cerveau c’est une véritable escroquerie philosophique. On en vient alors à dire que le cerveau des graines c’est leur génome. Le génome est le génome, il est la source des informations moléculaires de l’organisme mais en aucune façon un cerveau. On utilise ici deux mots, cerveau et savoir, qui dans leur sens commun sont associés au concept de conscience, pour introduire de façon analogique l’idée fallacieuse selon laquelle il y aurait une conscience globale, planétaire (Gaïa) indépendante de ses constituants. Rien à voir avec ce que Teilhard entrevoit pour une humanité eschatologique.

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