Le PIB a plus que doublé depuis 1975 en France et pourtant le taux d’accès à l’emploi a diminué, il est plus difficile de trouver un emploi, même si le volume d’emploi a augmenté, un peu moins que la population.
Pour ceux qui mettent leur espoir dans un taux de croissance plus fort, il faut rappeler que la croissance du PIB sera désormais durablement faible, probablement inférieure à 1 %, sauf à adopter des attitudes suicidaires d’exploitation d’énergies fossiles. Il y a pourtant un espoir, une voie de progrès, c’est de redonner toute sa place à un travail humain de qualité dans la production. Le développement des énergies renouvelables est nécessaire, il ne sera pas suffisant, c’est l’ensemble du process de production qu’il faut modifier, pour notre plus grand bien.
Le PIB augmente, l’accès à l’emploi diminue
La démographie facteur de croissance de l’emploi à long terme
Les analyses qui suivent sont centrées sur le cas de la France entre 1975 et 2013. Ceci dit, la tendance de diminution des gains de productivité se retrouve dans tous les pays développés, dont les Etats-Unis, la croissance du chômage aussi. On présentera quelques éléments comparatifs, mais les comparaisons sont difficiles compte tenu des fonctionnements différents des marchés du travail, de la comptabilisation des chômeurs, du temps partiel et du travail des femmes…
Notre raisonnement prend appui sur le PIB comme référence de la production et du travail, ce qui est une approximation… Le PIB n’est pas un indicateur de richesse, mais du volume des échanges marchands (et équivalents), c’est en ce sens que nous l’utiliserons, sans méconnaitre les critiques justifiées sur ce concept[1].
La croissance du PIB dépend de deux facteurs, la croissance de la production par personne et le nombre de personnes qui travaillent, de la productivité et de l’emploi. La variation du PIB d’une année sur l’autre, que l’on appelle la croissance, dépend donc de l’évolution de ces deux facteurs. On vérifie, sur la période concernée, que la croissance est donc sensiblement égale à la somme de la croissance de la productivité et à celle de l’emploi.
∆ PIB = ∆ productivité (PIB/emploi) + ∆ emploi
Il y a une relation effectivement positive entre la croissance du PIB et celle de l’emploi, mais il s’agit d’une relation en partie tautologique (Jean Gadrey) et qui masque la relation entre démographie et emploi : la croissance de la population, donc de la consommation, tire la croissance du PIB, et celle-ci tire l’emploi. Cela marche dans les deux sens. Nous utiliserons ici comme indicateur principal la productivité par habitant et non par emploi, de manière à pouvoir analyser les relations entre la population et l’emploi (le taux d’emploi).
Sur la période 1975/2013, la croissance de PIB est en moyenne[2] chaque année de 2,09 % qui se décomposent en 1,5 % de gains de productivité et 0,5 % d’augmentation de la population.
On peut donc considérer que la croissance du PIB correspond pour les ¾ à l’augmentation de la productivité et pour ¼ à l’augmentation de la population. L’emploi a augmenté de 0,44 % en moyenne chaque année. Au total sur cette période le PIB a augmenté de 115 % et l’emploi de 19 %, donc on pourrait dire que la croissance crée de l’emploi. C’est formellement vrai, mais la population a augmenté de 20 % sur cette même période, donc le taux d’emploi (part de la population en âge de travailler qui a un emploi) a diminué, de 66,2 % à 64,2 %.
Malgré la croissance, le taux d’emploi (la part de la population de 15 à 64 ans qui occupe un emploi) a diminué (de 66,2 % à 64,1 % soit – 2,1 points) et le chômage a augmenté. Cette diminution résulte de mouvements contradictoires entre une forte baisse du taux d’emploi des 15 – 24 ans, due en grande partie à l’allongement de la durée des études jusqu’en 1995, non compensé par une légère augmentation du taux d’emploi[3] des « 25 ans à 64 ans ».
Il est donc faux de dire qu’il faut augmenter la productivité[4] pour améliorer l’emploi. Cela n’a pas été vérifié depuis au moins 40 ans… Ce peut être le cas si les gains de croissance du chiffre d’affaires sont utilisés pour créer de l’emploi de service, comme cela a été fait dans le secteur du commerce aux États-Unis en 1960/70. Nous verrons après où passent ces gains de productivité.
Entre 1975 et 2013
- Le PIB a été multiplié par 2,2, nous sommes « deux fois plus riches »,
- La population a augmenté de 10 millions de personnes soit x 1,20
- L’emploi a augmenté de 4 millions soit x 1,19, un peu moins que l’augmentation de la population,
- Le chômage a augmenté de 2 millions, il a été multiplié par 3,8, pour partie du fait de la baisse du taux d’emploi, pour partie du fait de l’augmentation du taux d’activité qui augmente de 2,6 points. On ne peut pas distinguer dans l’augmentation du chômage ce qui provient de l’augmentation du taux d’activité, car les relations entre l’emploi et la population sont dynamiques. Par exemple une augmentation de l’emploi dans une région eut faire augmenter le nombre de chômeurs déclarés par émergence de nouveaux candidats à l’emploi.
Évolution population active 2 (1) : simulation de l’augmentation de la population active due à l’augmentation du taux d’activité, soit
Population active 2013 x (taux d’activité 1975/taux d’activité 2013)
Chômage 2 (1) : simulation du nombre de chômeurs si le taux d’activité avait été constant soit Chômage 2013 – Évolution population active 2 (1)
Croissance et chômage, des évolutions conjoncturelles contrastées, une tendance structurelle
La situation de la France
L’une des difficultés est que les annonces sur la croissance et le chômage se font le plus souvent sur du très court terme. Et à court terme, la relation est très variable, sans rien changer à la tendance de long terme vue auparavant.
A cout terme, on peut donc identifier une relation entre le PIB et le chômage, qui baisse quand le PIB augmente plus fortement et augmente quand la hausse du PIB devient faible. On peut ainsi dure que le chômage amplifie les variations conjoncturelles du PIB, mais sur une tendance longue d’augmentation constante.
1975 à 1987 : le PIB augmente et le chômage augmente
2000 : le PIB augmente et le chômage diminue. Mise en place des 35 heures.
2005 à 2008 : croissance forte tirée par la dette, les marchés financier et immobilier
2008 le PIB et le chômage diminuent. C’est une évolution à court terme, un différentiel d’adaptation du marché du travail.
2009 : le PIB diminue, crise financière, perte de marchés, et le chômage augmente. En fait dans le rapport PIB/emploi, le PIB diminue plus fortement que l’emploi, donc la productivité par emploi diminue, mais l’emploi aussi.
Nous présentons ici un croisement du taux de croissance du PIB avec l’évolution du nombre de chômeurs (au sens du BIT), plus facile à interpréter que l’évolution de l’emploi.
D’autres croisements sont possibles qui donnent des résultats analogues, comme le taux de croissance une fois déduit l’augmentation de la population (soit 0,5 % en moyenne sur la période), ou l’évolution du taux de chômage au lieu de l’évolution du chômage.
Dans le cas de la France, tous les cas de figure existent. On ne peut donc pas dire non plus que la croissance du PIB diminue le chômage, même à 4 % de croissance.
Sur les 37 années considérées, il y a 26 années pour lesquelles le PIB augmente et le chômage aussi, soit 70 % de la période considérée.
On vérifie que lorsque le PIB diminue le chômage augmente, mais à gains de productivité constants… voir ci-après.
Compte tenu du nombre de facteurs influençant ces évolutions, il est illusoire de vouloir établir une loi générale. Facteurs :
- Ralentissement des gains de productivité (rendements décroissants)
- Evolution du temps de travail par personne. La durée moyenne annuelle du travail (1900 heures pour les salariés dans les années 1950, 1400 depuis le début des années 2000). Sans la RTT sur cette période, nous aurions peut-être 6 millions de chômeurs EN PLUS.
- Temps partiel
- Coût du travail
- Évolution du taux de change…
- La façon dont les gains de productivité ont été partagés et sont revenus ou non aux actifs, boostant ou non la demande finale de ces actifs
- Le fait que des gains de productivité énormes dans la production matérielle (en gros industrie et agriculture) ont permis l’expansion de services de toute sorte à faibles gains de productivité, ce qui, est l’une des causes de la forte chute ultérieure des gains de productivité globaux (quand la majorité des activités est localisée dans des services à gains de productivité faibles ou nuls « par nature ») (loi de Baumol).
Le raisonnement selon lequel l’emploi augmente à partir d’une croissance supérieure à 1,5 % suppose que le gain de productivité est affecté à l’emploi. Il n’est donc pas vérifié.
Productivité et compétitivité
Dans le cas de 2 % de croissance par exemple, il y aurait donc des gains procurés par la hausse plus forte de la productivité, qui permettraient de créer de l’emploi pour accroître les capacités de production. C’est un raisonnement de concurrence coût. On verra plus loin que la compétitivité par la qualité ne fonctionne pas de cette façon. Et on a vu que cette hypothèse n’était pas vérifiée, contrairement aux idées reçues régulièrement diffusées[5] du type « à partir de 1,5 % de croissance on peut créer de l’emploi ».
Peut-on pour autant affirmer que c’est la croissance démographique qui crée l’emploi et non la croissance de la productivité ? Oui pour la France dans la période considérée, mais la situation est différente dans d’autres contextes. Ce n’est pas une loi générale, comme la croyance que la croissance de la productivité crée l’emploi n’est pas non plus une loi universelle. Un exemple : en France après-guerre, les besoins d’emploi sont supérieurs aux ressources nationales, et la France connaît une forte augmentation de l’immigration entre 1953 et 1957 : la croissance économique tire la démographie et non l’inverse.
Quelques comparaisons internationales
La croissance du PIB peut s’accompagner d’une diminution du taux d’emploi, d’une stagnation ou d’une augmentation de ce taux. Tout dépend de l’origine de la croissance, et des mécanismes de régulation du marché du travail.
Relations entre croissance du PIB, du PIB/habitant et de la population[6]
Période | PIB à prix constant | PIB/hab | Population | Emploi millions | Taux d’emploi points | |
France | 1975-2013 | 115% | 76% | 20% | 19% | -2% |
Etats-Unis | 1975-1999 | 127% | 74% | 28% | 66% | 10% |
2000-2013 | 28% | 15% | 14% | 0% | -7% | |
Royaume Uni | 1975-1992 | 45% | 39% | 2% | 2% | 0% |
1993-2011 | 56% | 46% | 9% | 14% | 5% |
On voit sur ce tableau trois configurations possibles des relations entre croissance et emploi :
- une croissance sans effet sur l’emploi, l’augmentation de l’emploi est proportionnelle à l’augmentation de la population, et les gains de productivité sont affectés à l’enrichissement de la population en emploi et aux actionnaires (France, 1975-2013, Royaume-Uni 1975-2012)
- une croissance qui favorise l’emploi, l’augmentation de l’emploi est plus importante que l’augmentation de la population, une partie des gains de productivité est affectée à l’emploi (Etats-Unis 1975-2000, Royaume-Uni 1993-2011[7]). La corrélation entre croissance et baisse du chômage aux États-Unis, affirmée par Okun, est ici vérifiée.
- une croissance et un accès dégradé à l’emploi, les gains de productivité sont entièrement captés par la sphère de l’emploi en place, et malgré l’augmentation de la population, le solde de l’emploi est nul (en réalité il augmente puis diminue au cours de cette période). États-Unis 2000 – 2013
Pour la France les variations du taux d’emploi sont assez faibles sur la période considérée et ne justifient pas de découper cette période en plusieurs phases.
Le moteur central : la productivité par secteur
Pourquoi les gains de productivité ne sont-ils pas utilisés pour augmenter l’emploi ?
On a donc vu qu’au niveau macroéconomique
∆ PIB = ∆ population + ∆ productivité (PIB/population)
Au niveau micro économique, de l’entreprise, cela donne
∆ valeur ajoutée = ∆ productivité + ∆ emploi
Ou encore
∆ productivité = ∆ valeur ajoutée – ∆ emploi
Dans ce raisonnement la source de l’augmentation de la valeur ajoutée c’est la productivité. Et moins on augmente l’emploi, plus il en reste en marge brute, donc plus on peut investir, distribuer aux actionnaires, ou diminuer les coûts pour gagner ou conserver des marchés. Il y a donc une forte pression pour utiliser au maximum les gains de productivité sans créer d’emploi. L’important ce n’est pas tant la part des gains qui auraient pu être ainsi affectée, c’est de ne pas en affecter plus que les concurrents, et là quelques % suffisent pour mettre en péril une entreprise. Le problème et donc celui de la concurrence, ou plus précisément de la concurrence par les coûts, position classique des entreprises françaises. La concurrence produit (qualité) permet d’affecter des gains à l’emploi, comme l’a fait l’Allemagne par exemple, comme le fait le secteur du luxe en France.
La croissance de l’emploi dans notre système piloté par la concurrence mondialisée n’est possible que :
- s’il y a une rente exploitable à faible coût (découverte de pétrole, de gaz…), rente qui sera temporaire,
- pendant une période de rattrapage concurrentiel par le coût des salaires (pays asiatiques), également temporaire,
- par une stratégie financière d’augmentation de la dette, mais qui a elle-même des limites.
Hors de ces trois possibilités, la pression de la compétitivité coût conduit à une recherche de productivité par travailleur qui pousse à la diminution de l’emploi.
L’intensité du déversement de l’emploi entre secteurs influe sur les emplois créés.
S’il y a eu des créations d’emploi plus fortes au cours des « 30 glorieuses », c’est que l’évolution de l’emploi est différenciée selon les secteurs, l’emploi diminuait dans les secteurs à productivité croissante et augmentait dans le tertiaire (mais il faut aussi tenir compte du transfert de fonctions industrielles vers le tertiaire). Il y a eu un transfert de l’emploi des secteurs à forte productivité vers les secteurs à faible productivité, le bilan global de l’emploi dépendant de l’intensité de ce « déversement » (Alfred Sauvy).
Si le nombre d’emplois supprimés dans les secteurs à productivité croissante, industrie et agriculture, est inférieur au nombre d’emplois créés dans les services, le bilan est positif, sinon, il est négatif.
La question n’est donc pas la croissance globale, dont on a vu qu’elle dépendait de la croissance de la population et de la productivité, ni celle de la productivité/habitant dont on a vu qu’elle ne créait pas d’emploi, qu’elle permettait juste de maintenir la compétitivité coût. C’est la question de la qualité et de la productivité matière.
En effet la plus-value générée par le gain de productivité par emploi peut être
- utilisée pour financer des services à l’entreprise (et inversement l’externalisation de services fait augmenter la productivité apparente)
- redistribuée aux salariés et financer la demande de services,
- utilisée pour investir dans des machines produites soit dans le même pays, soit importées…
- distribuée aux actionnaires, qui peuvent investir en équipements, sur les marchés financiers…
mais un changement de stratégie, le remplacement du gain de productivité/tête par des gains de qualité et de productivité matière, auraient un impact positif sur l’emploi.
Baisse de l’emploi agricole et industriel, augmentation de l’emploi des services (en parie par externalisation des emplois industriels)
Graphique 7
Baisse des gains de productivité du secteur industriel et du bâtiment depuis 1970
La croissance du PIB va rester faible
Même si l’on pouvait en France adopter le modèle Etats-Unis de la période de la fin des années 2000 ou Royaume-Uni de la période 2000-2010, nous aurions un effet très limité sur l’emploi : la croissance du PIB est désormais durablement faible.
La baisse tendancielle des gains de productivité
Nous avons pris en compte jusqu’à présent les gains de productivité comme un enjeu central. Il était important de comprendre comment cela fonctionne, mais c’est un enjeu désormais dépassé, même si nos dirigeants ne s’en sont pas encore aperçus, qui répètent à l’envie « il faut relancer la croissance.. ».
Voici l’évolution de la productivité sur long terme.
Les trois limites de la croissance
Pour analyser cette évolution, nous avons considéré jusqu’ici la productivité comme un tout. On peut la décomposer en deux facteurs principaux en fonction de l’énergie :
PIB = PIB x Energie
Population énergie population
Alors l’équation de la croissance, qui est la somme des gains de productivité et des gains de population, devient
∆ PIB = ∆ PIB/énergie + ∆ énergie/population + ∆ population
PIB PIB/énergie énergie/population population
Croissance = % efficience énergétique + % consommation d’énergie + % démographie
La croissance a donc deux limites :
- Le facteur démographique : on va vers une asymptote à l’horizon 2040 en France
- Le facteur consommation d’énergie : il diminue et va encore baisser pour des raisons physiques (le stock de ressources fossiles est limité) et écologiques (réduction des émissions de gaz à effet de serre).
Au niveau mondial (Gaël Giraud) la croissance dépendait des ¾ de l’augmentation de la consommation d’énergie entre 1965 et 1981, elle dépend désormais aux 2/3 de l’efficience énergétique qui n’a jamais été supérieure en moyenne à 1% par an sur la période 1965 – 2013.
Pour la France, le lien entre la consommation d’énergie et le PIB confirme l’évolution mondiale jusqu’au début des années 2000, puis la consommation d’énergie décroche : chute de l’activité d’une part, efforts plus importants de limitation de la consommation, mais aussi délocalisation des activités les plus consommatrices d’énergie (ce qui explique que notre empreinte carbone consommation de 12 tonnes CO2/an soit supérieure de 50 % à notre empreinte carbone production qui est de 8 tonnes).
Il faut 356 kTep pour 1 million de PIB en 1975, et encore 256 Ktep en 2000. Il y a eu certes une amélioration du rapport d’efficience énergétique de l’ordre de 100 Ktep/1 million de PIB, soit 28 % en 25 ans, 1,1 % par an.
Mais au niveau mondial[8] ce rapport passe de 4,5 Mtoe/milliard $ constant en 1970 à 5,8 Mtoe/Milliard en 2012, donc au contraire une dégradation de l’efficience. L’amélioration de notre efficience énergétique se nourrit donc d’une dégradation de la même efficience au niveau mondial.
Le facteur progrès de l’efficience énergétique a plafonné longtemps à 1%. Il a augmenté au cours des 10 dernières années, en particulier du fait de l’externalisation des activités consommatrices d’énergie. Il faut donc maintenant prendre en compte le facteur efficience au niveau mondial, qui se dégrade.
L’efficience dépend:
- de l’investissement dans la recherche, limité pour ce qui est du secteur public par les contraintes budgétaires[9]
- du rendement – décroissant – de cet investissement (Ricardo, Homer-Dixon…)
- de la part croissante des services qui dépendent moins de l’énergie, donc ont moins d’influence sur le rapport PIB/énergie (Baumol)
- des coûts croissants de maintenance du système social qui nécessitent un coût d’énergie croissante par rapport au PIB (entropie croissante, loi de Laplace et théorie de Tainter).
La croissance du PIB sera désormais durablement faible dans les pays dits développés, et s’affaiblit progressivement dans les pays « émergents ». C’est la conséquence des facteurs décrits ci-dessus, et ceci a été montré de manière plus globale par les travaux[10] de Gordon, Gadrey ou ceux de Meadows, que nous ne développons pas ici.
Développer l’emploi en mettant le travail humain de qualité au centre
Des enjeux sociaux et écologiques
Le PIB /total habitants, est de 31 100 €/habitant. C’est aujourd’hui l’indicateur phare dont l’augmentation est supposée sauver l’emploi. Mais les gains de productivité étant devenus très faibles, leur partage a beaucoup moins d’impact. Il faut donc changer de paradigme, l’évolution de la productivité et celle du PIB ne sont plus centrales ni même opératoires, il nous faut centrer nos efforts sur les vecteurs permettant de créer de l’emploi et d’améliorer la situation écologique.
Ceci d’autant plus que, si l’on veut respecter les objectifs de la Commission européenne, et en utilisant l’équation de Kaya par Jean-Marc Jancovici[11], il n’y a qu’une solution : diminuer le PIB !
Nous sommes face à deux enjeux, déclinés chacun dans ses dimensions quantitative et qualitative :
Un enjeu social | Un enjeu écologique | |
Quantitatif | L’accès à l’emploi pour tous | La réduction de l’usage des énergies fossiles et des matériaux |
Qualitatif | L’amélioration de la qualité des services et des emplois | L’augmentation de la durée de vie de nos produits |
Au niveau national, si l’on raisonne par analogie avec une entreprise, la production c’est la somme du travail + consommation de matière + consommation d’énergie + amortissements
soit
Amortissements |
134 M tonnes énergie fossile (260 MTep énergie totale) |
1450 millions de tonnes de matière(650 intérieur + 800 masquée) |
26,4 millions de personnes qui travaillent |
Propositions :
Diminuer la consommation de matière
La productivité matière, PIB / consommation apparente de matières premières, est de 2,2 €/kg, et la consommation de matière de 12,4 tonnes/habitant. La réduction de cette consommation est possible par la production d’objets plus durables, la réduction de l’énergie consommée par unité produite, mais aussi par la réduction nette de la consommation de matière : si les objets que nous utilisons durent deux fois plus longtemps, nous consommerons un peu moins de deux fois de matière (un peu moins car les objets plus durables contiennent plus de matière que les objets jetables mais pas deux fois plus s’ils durent deux fois plus longtemps). Ceci vaut pour les vêtements, meubles, véhicules, machines, électronique…
Diminuer la consommation d’énergie fossile en faisant des économies de consommation d’énergie d’abord, en augmentant la part des énergies renouvelables, mais aussi en augmentant la part du travail dans la valeur en la substituant à l’énergie
Ce dernier facteur va réévaluer le coût de la production : 1 KWh de travail humain coûte environ 30 €, 1 KWh d’essence coûte 0,14 €, soit 200 fois moins. Le travail humain est donc beaucoup plus coûteux. Pour illustrer, un homme en bonne santé et bien nourri pouvant fournir environ 0,5 KWh de travail physique en une journée[12], 3 millions de ces hommes fourniraient 1 500 MWh par jour, soit 1,5 Tep par jour, 300 Tep par an si l’on suppose qu’ils travaillent 200 jours par an. Ceci représenterait environ 0,1 millième de notre consommation énergétique, mais l’équivalent de la totalité du nombre de chômeurs.
Il n’est évidemment pas question de transformer les chômeurs en machines physiques, dont l’apport énergétique serait on l’a vu très limité, le travail physique devrait être réparti sur l’ensemble de la population. Et le rapport de coût devrait modifier la répartition entre travail rémunéré et travail domestique (masculin et féminin), le choix pouvant se porter sur la réintégration des services payés vers des tâches domestiques, comme la réparation de vêtements ou d’objets, la cuisine, l’éducation (cours du soir), les loisirs… Ceci revient à se réapproprier ce que Ivan Illich nomme les tâches vernaculaires, et André Gorz notre culture. Une illustration romancée (mais sombre) de cette hypothèse a été publiée par Paolo Bacigalupi[13]. Des travaux[14] ont évalué qu’une « réduction graduelle, sur quelques décennies, de la semaine de travail à trois ou quatre jours annulerait une bonne partie de la croissance des émissions de GES projetées d’ici à 2030 tout en améliorant la qualité de vie ».
C’est possible
Il faut bien distinguer la productivité et la compétitivité. La première sert à améliorer la seconde en compétitivité prix, mais pas la compétitivité produit ou compétitivité par la qualité. La productivité sert aussi à permettre la croissance d’une entreprise, à dégager des marges, et elle est indispensable en situation concurrentielle sur des produits équivalents donc dans la majorité des cas que nous avons connus, donc dans le passé ! pas l’avenir.
Quels sont les cas d’amélioration de la compétitivité produit avec une diminution de la productivité du travail, donc une augmentation de la part du travail humain, et si possible une amélioration des marges par diminution du coût des intrants ou des amortissements ?
Commerce
Une hypothèse déjà expérimentée avec succès dans les années 1960-1970 : le commerce aux USA. Ce secteur a longtemps augmenté son chiffre d’affaires, sa valeur ajoutée, son taux de marge et l’emploi du secteur tout en diminuant sa productivité par salarié, en développant les services aux clients, qui étaient le facteur de concurrence principal. Depuis la concurrence par les prix a repris le dessus.
Agriculture
Une piste ouverte par l’agriculture bio : baisse de la productivité par personne active et augmentation de la marge (élevage) ou augmentation de la productivité par ha et par personne (maraîchage). La productivité par ha se nomme rendements. Elle peut croître alors que la productivité horaire diminue (s’il faut plus de travail pour produire les mêmes quantités en bio).
Maraîchage. Ex. du Bec-Helloin, sur 1 000 m², cette ferme maraîchère permet de dégager en 2012 une marge brute de 26 000 € et de financier un temps plein au SMIC. (Source INRA[15])
Buttes de culture au Bec Hellouin
Par exemple un agriculteur qui produit du lait ou des légumes en bio produit moins par hectare et par personne hectare (mais pas toujours : la permaculture a de hauts rendements à l’ha) mais augmente sa marge car il acheté moins d’engrais, d’aliments, de produits chimiques, de carburant, et globalement son revenu par personne augmente dès lors qu’il existe des débouchés pour sa production de meilleure qualité.
Selon une étude de l’INRA sur des exploitations d’élevage bovin viande, pendant 4 ans, la marge brute des agriculteurs bio est plus élevée de 11 % que celle des agriculteurs conventionnels, du fait de charges d’exploitations inférieures de 30 % (Rencontres recherche ruminants, 2006, INRA Clermont-Ferrand). Les résultats du centre de gestion du Maine et Loire donnent des résultats qui vont dans le même sens pour des productions laitières et végétales. La dernière étude de l’INRA réalisée pour le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (2013) montre une supériorité économique de l’agriculture bio pour le lait, et en production viande pour le résultat courant avant impôt. La situation est inverse en maraîchage.
Traction animale pour la préparation des sols au Bec Hellouin
Bâtiment
Toits en tuiles ou ardoises et non en panneaux préfabriqués (5 800 salariés dans la fabrication de briques, tuiles et produits de construction en terre cuite)
Murs en terre et non en banches de béton
Industrie
Meuble. Fabrication de meubles en bois massif local et assemblé en chevilles, plutôt qu’en aggloméré assemblé par agrafage (ce secteur compte 48 000 salariés en 2012[16])
Horlogerie : réveils mécaniques réparables plutôt qu’électroniques jetables (1 700 salariés)
Pharmaceutique : production de médicaments ou produits cosmétiques à base de plantes, plutôt que chimiques ou biotechnologiques.
De l’industrie aux services
Les réparateurs de machines (112 000 salariés), les menuisiers qui réparent les meubles (1 500 salariés), les couturiers qui reprisent les vêtements, les cordonniers (1 000 salariés), ont une productivité inférieure à celle des producteurs de machines, de meubles, de vêtements ou de chaussures, mais ils peuvent gagner aussi bien, voire mieux leur vie que les ouvriers de production si nous acceptons de payer leurs services au prix correspondant à leur qualification et au temps passé.
Services
Transport de fret en bateau à voile (ex Trans Oceanic Wind Transport, Brest[17])
Livraison en vélo
Restauration : plats cuisinés sur place, service à la table (700 000 salariés).
Quatre questions
Le progrès par les low tech
Ces exemples mettent en œuvre pour la plupart des technologies peu consommatrices d’énergie, que l’on appelle les low tech. Low signifie peu de consommation énergétique, mais ces technologies peuvent être très élaborées et être issues de recherches pointues, comme la culture sans labour qui nécessite une connaissance fine du sol, la phytothérapie, l’isolation des bâtiments.
C’est du luxe ? Les riches et les pauvres
Le produit résultant de ces choix est souvent considéré comme un luxe : aliments bio, meuble artisanal, restaurant chic. C’est un luxe à court terme et sur un périmètre limité, ce n’est pas un luxe si :
– l’on raisonne à long terme (amortissement, durée de vie du produit comme un meuble, un réveil, un mur). Cet argument est recevable par les personnes dont c’est un choix de vie, et par le marché du luxe pour l’exportation,
– l’on prend en compte les externalités comme la santé et la conservation des sols, le coût des importations de matière, les émissions de gaz à effet de serre, la réduction du chômage avec son triple effet budgétaire, santé et sécurité. Cet argument est recevable dans le cadre d’une communauté maître de sa politique fiscale : un État ou une confédération intégrée,
– une meilleure organisation coopérative des producteurs leur permet de réduire certains coûts d’accès aux marchés de proximité.
Ce n’est pas un luxe si l’on mène de pair une réduction des inégalités et une réduction de nos consommations. Sinon cette dernière aboutira à l’effet inverse. On peut ici renvoyer aux travaux de Thomas Piketty sur la taxation du capital, proposition cohérente avec notre orientation d’une activité de production utilisant plus de travail et moins de capital.
La création d’emplois, pas seulement dans la production d’énergie
Le scenario Negawatt[18] prévoit la création de plus de 600 000 emplois à l’horizon 2050, ce qui montre que l’option sobriété et énergies renouvelables a un effet positif sur l’emploi, mais sans pour autant résoudre la question du chômage de masse. Ce scenario porte uniquement sur les usages (sobriété) et les sources (énergies renouvelables), sans faire entrer la question du travail humain dans la production et les services.
Notre objectif est ici de montrer que l’on peut créer des emplois en modifiant les schémas de production, et pas seulement en substituant des énergies renouvelables aux énergies fossiles et fissiles. Ceci est moins consommateur en investissements, mais nécessite un accompagnement fiscal et règlementaire adapté.
On a vu plus haut que transformer les hommes en machines physiques est peu efficace (sauf éventuelles manipulations génétiques, mais ce n’est pas dans notre champ d’hypothèses). Ce n’est donc pas une voie de création d’emplois. Mais on peut ajouter aux emplois créés dans l’isolation, le transport et la production d’énergies renouvelables les trois domaines étudiés par Negawatt, ceux de la réparation, de l’agriculture, de la fabrication de biens de « type artisanal ». Combien d’emplois à la clef ? Difficile à dire, mais on peut envisager de
- Doubler le nombre d’actifs en agriculture, il y a actuellement 1 million d’actifs pour 25 millions ha, soit 1 pour 25 ha. 1 pour 12 ha serait plus appropriés à une culture écologique.
- Doubler le nombre d’actifs dans l’artisanat de service (dont la réparation) et de production (dont les biens durables), dans la fabrication de meubles, le transport utilisant des moyens doux.
- Les évaluations sont plus difficiles pour la restauration, pour laquelle l’élasticité prix peut limiter les effets sur l’emploi.
Si nous additionnons les emplois des secteurs cités ci-dessus, en nous limitant à ceux pour lesquels la mutation apparait comme la plus accessible, il y a au moins 150 000 emplois actuels, que l’on peut espérer doubler. Mais il faut prendre en compte l’hypothèse d’une réduction globale du temps de travail, et donc du transfert entre activité salariée et activité domestique. Si l’accès à l’emploi pour tous est un objectif, il ne s’agit pas pour autant de transformer nos activités domestiques (vernaculaires disait Ivan Illich) en activités salariées, au contraire.
La question de période de transition
Une augmentation des coûts unitaires ?
Si la baisse du coût des intrants est supérieure à la hausse du coût du travail humain, il n’y a pas de hausse du prix de revient. C’est le cas en maraîchage, et l’écart est faible pour le lait par exemple.
En revanche, il y a un écart de coût important pour la fabrication de biens durables comme les meubles, les vêtements. L’écart sera limité voire nul si on le calcule en durée de vie, mais suppose que l’acheteur prenne en compte ce facteur.
Pour les services, le coût et la qualité sont en grande partie proportionnels, la qualité dépendant du temps et/ou du nombre de personnes affectés au service (santé, restauration, théâtre…).
Une période de coexistence d’un secteur à qualité croissante et productivité décroissante et d’un secteur à forte productivité et faible qualité (ex. agriculture, mobilier…) exigera des dispositions fiscales ou réglementaires (loi contre l’obsolescence, durée des garanties) permettant au secteur de qualité de se développer.
La coexistence de territoires à coûts de production croissants et des territoires à coûts de production plus bas, en tous cas tant que le coût de l’énergie et des matériaux le permet, nécessite une politique d’incitation à la préférence d’achat local (achetez breton « produit en Bretagne », français « viande d’origine française »…) et/ou de protection aux frontières. Ceci vaut pour la production de biens matériels mais aussi pour des services comme la santé (les anglais qui viennent se faire soigner en France).
Il s’agit en fait de sortir du fondamentalisme marchand (Naomi Kkein), de la marchandisation de tous nos besoins (Bernard Perret). Citons ce dernier[19] : « La croissance est désormais structurellement faible en Europe. Est-ce dû à des politiques économiques inadéquates ? À une panne de l’innovation ? En partie sans doute, mais cette langueur renvoie surtout à un problème plus fondamental : l’épuisement du « cœur du réacteur » de l’économie capitaliste, à savoir le mécanisme de transformation des besoins en marchandises. De nouvelles pratiques sociales émergent : troc, réparation, jardins partagés, échange de logement, crowdfunding, fab-labs, économie collaborative, qui sont autant de réponses spontanées à cette situation de blocage. Mais il y a plus : au sein même du monde productif s’affirment des logiques de coproduction, de coopération, de responsabilité écologique et de symbiose avec la société qui s’éloignent des schémas de rationalité typiques du capitalisme. Fort diverses à tous égards, ces innovations sont porteuses de valeurs démocratiques et d’une aspiration à contribuer activement au bien commun. Elles devraient être favorisées par des politiques publiques imaginatives et ambitieuses. Car, à l’heure où le pouvoir d’achat stagne et où les impératifs écologiques se font sentir, une amélioration de la qualité de vie est possible si l’on produit et consomme autrement. »
Propositions pour réussir la mutation
On a donc vu qu’il y a trois domaines où des actions fortes sont nécessaires pour réussir cette mutation : la fiscalité pour réduire les inégalités, la règlementation pour améliorer la qualité des produits et la réduction de leur contenu énergie matière, et nous ajoutons la formation et la gestion des métiers pour faire en sorte que les activités à forte composante physique soient aussi acceptables que les autres.
Pour les deux premiers domaines nous reprenons des propositions déjà avancées et bien connues, mais souvent peu mises en relations les unes avec les autres. Ce ne sont que des pistes, soumises au débat, mais nécessaires au débat.
La réduction des inégalités passe par une taxation du capital et des hauts revenus :
- Thomas Piketty[20] propose un impôt progressif et annuel sur le capital, au niveau mondial. Le taux pourrait être, « pour fixer les idées, un taux égal à 0 % au-dessous de 1 million d’euros de patrimoine, 1 % entre 1 et 5 millions d’euros et 2 % au-delà de 5 millions d’euros. »
- Patrick Viveret a proposé avec le Collectif richesses d’établir un revenu maximal acceptable, en taxant à 100 % les montants supérieurs à ce niveau de revenu. Cette proposition ne fixe pas de niveau maximal, qui devrait être l’objet d’un débat, mais là encore pour fixer les idées, Ford considérait qu’un écart de 1 à 10 était un niveau maximum pour les revenus dans une entreprise, JP. Morgan (de la banque JP Morgan) évoque lui un écart de 1 à 20. L’écart est aujourd’hui de plus de 1 à 1000 aux Etats-Unis.
L’amélioration de la qualité des produits et du rendement matière :
- Imposer une réparabilité des produits, ce qui élargit la notion d’éco-conception qui ne concerne pas que les matériaux utilisés mais aussi la durée de vie du produit, avec une sanction s’ils ne sont pas réparables comme les montagnes en plastique embouti par exemple,
- Imposer une garantie de bon fonctionnement d’au moins 10 ans pour les machines, (cf. le projet d’amendement – repoussé – sur l’obsolescence programmée),
- Taxer le contenu carbone des produits et alléger la fiscalité sur le travail.
La diversification des métiers :
Les métiers concernés par une activité moins consommatrice d’énergie sont pour l’essentiel des métiers comportant une activité physique (agriculture, bâtiment, réparation mécanique, menuiserie, service en restauration…), dont on sait qu’ils sont moins attractifs que les métiers qui s’exercent dans des bureaux ou devant des écrans. Pour contrer cette tendance, qui date de longtemps[21], il faut diminuer la division du travail, lutter contre la spécialisation, réunifier l’activité humaine :
- Supprimer la notion de niveau de formation[22], ou au moins pouvoir repérer et valoriser la polycompétence,
- Inclure dans les conventions collectives de classification un avantage à la polycompétence (capacité d’exercer au moins deux activités professionnelles telles que définies dans la convention),
- Introduire dans les pratiques et les enseignements du management la possibilité d’exercer simultanément plusieurs activités dans une entreprise (réparation de meubles et commerce, culture de légumes et comptabilité de l’entreprise…).
Si nous ne prenons pas ces orientations, nous irons probablement vers une société encore plus inégalitaire, donc prédatrice de l’environnement, envahie de produits de basse qualité et d’emplois peu qualifiés et peu payés, et nous serons incapables de prendre les mesures nécessaires pour lutter contre le chômage et le changement climatique.
Le facteur d’efficience global
Il faut donc consommer moins de matière pour la production de biens, et améliorer la qualité des biens et services en augmentant le facteur d’emploi.
Mais il faut aussi améliorer le rendement global du système social. Les deux actions précédentes y contribuent mais ne suffiront pas. Nous risquons l’hypertrophie étatique du fait de la complexité de nos systèmes techniques (analogue à ce que décrit Joseph Tainter, mais l’orientation de la baisse de la productivité matière et le choix des low tech devrait permettre de la réduire) et nous risquons l’arrivée d’un pouvoir autoritaire du fait des enjeux climatiques (Holmgren). La simplification du système social avec le maintien des qualités de solidarité et de protection sociale passe par la simplification de nos propres modes de vie.
La complexité administrative augmente en fonction de la complexité technique de la société[23]. Ceci explique que toutes les tentatives pour simplifier le fonctionnement administratif n’aboutissent qu’à complexifier le système, la dernière réforme de la TVA[24], ou la succession de créations de « guichets uniques » pour l’insertion des jeunes[25] étant des exemples typiques. La situation est donc différente de celle des entreprises, où dans un périmètre limité, on peut effectivement simplifier les processus sans modifier la technique, en particulier par la technique du lean management ou simplification des niveaux hiérarchiques, qui agit sur l’organisation par la prise en charge par chacun de plus de responsabilité. En quelque sorte un processus de subsidiarité entrepreneurial.
Il y a trois modalités possibles :
- Simplifier la structure administrative sans simplifier les processus techniques et commerciaux : c’est la voie ouverte au libéralisme sans contrôle. L’usage des données personnelles sera libéré, on réduit les contrôles de vitesse sur les routes, le chocolat contiendra de plus en plus de graisses, les plats préparés seront fait à partir de viande de chameau… C’est le plus facile.
- A contrario simplifier les processus techniques sans simplifier la structure administrative serait l’étouffement bureaucratique,
- Simplifier les processus techniques et commerciaux et ainsi pouvoir simplifier les processus administratifs concernés. C’est la voie de la sagesse, mais la plus difficile.
Le lien entre la complexité des process techniques et celle des fonctions administratives est en effet quasi organique : que préfèreriez-vous ?
- Acheter la voiture que vous voulez, qui peut rouler à 200 km/h, et augmenter le nombre de contrôles radar sur les routes ou diminuer la puissance des voitures construites ?
- Utiliser les matières plastiques dans tous les domaines et augmenter la recherche médicale sur le cancer, Alzheimer, et autres maladies de dégénérescence, ou diminuer le nombre de perturbateurs endocriniens[26] diffusés dans nos produits ?
- Produire à pas trop cher des céréales et des légumes et polluer les cours d’eau avec les nitrates mais augmenter la réglementation sur l’eau et les usines de traitement de l’eau, construire des bateaux de récolte des algues vertes, ou diminuer les doses de nitrate, atrazine et autres produits chimiques dans les champs par des modes culturaux utilisant moins de produits chimiques ?
- Pouvoir communiquer par vidéo à tout moment avec vos amis aux antipodes et multiplier les contrôleurs sur les communications numériques ou réduire le nombre de centres serveurs et la taille des bandes passantes[27]?
[1] Voir tous les travaux de FAIR, le rapport Stilgitz, la loi sur les indicateurs du 13 avril 2015
[2] Moyenne des taux de croissance annuels
[3] Pour les 50-64 ans on constate une baisse de l’activité à partir de 1982 (retraite à 60 ans), annulée par une augmentation à partir de 1995 par une augmentation (lois sur les retraites). Le taux d’activité (part de la population en emploi ou en demande d’emploi) augmente (de 68 ,5 % à 71,1 %, soit + 2,6 %), ce qui accroît le chômage généré par la baisse du taux d’emploi, mais l’augmentation du taux d’activité n’en est pas la cause première.
[4] On considère ici la productivité par habitant ce qui nous permet de mettre en relation la productivité et la démographie. De façon générale on utilise la productivité par emploi ou par heure de travail, la productivité par habitant est un indicateur proche de ceux-ci, mais plus global.
[5] Dernier exemple dans Le Monde Economie du 4 avril 2015 : « Les économistes évaluent généralement à 1,5 % le taux de croissance à partir duquel la reprise peut créer de l’emploi. » Au Royaume-Uni, on a eu une forte reprise mais sans productivité. Conséquence : cela a permis beaucoup de créations d’emplois, mais peu de progression du revenu. Si nous nous rapprochons du modèle britannique, il y aura une reprise plus riche en emplois qu’anticipé « , nuance M. Pisani-Ferry. »
[6] Sources. France : Insee séries longues. Etats-Unis: http://fr.tradingeconomics.com et geocodia. Grande Bretagne Eurostat
[7] En Grande Bretagne cela continue, du fait de la la non croissance de la productivité depuis sept ans. Les anglais appellent ce phénomène le productivity puzzle, car ils débattent des causes de cette stagnation. La baisse du coût du travail qui est selon l’étude du NIESR (National institute of economic and social research) de 2015 la principale cause de cette stagnation, nul besoin d’optimiser les coûts pour réaliser des profits ! Les dépenses de R&D sont inférieures à 1,7 % du PIB, contre 2,2 % en France et 2,9 % en Allemagne et aux Etats-Unis. Source Philippe Askenazy, Le Monde, 13 mai 2015.
[8] Source Gaël Giraud, exposé à l’école des Mines de Nantes, 3 mars 2015, données BP statistical review, Shilling et al., EIA et Banque mondiale
[9] Et ce d’autant plus si les crédits sont orientés vers d’autres domaines : la part des budgets de Recherche et développement dans les énergies renouvelables est passée de 11 % du total de ces budgets au début des années 1980 à 3 à 4 % au début des années 2000. Source AIE, Le Monde, 5 mai 2015.
[10] IS U.S. ECONOMIC GROWTH OVER? FALTERING INNOVATION CONFRONTS THE SIX HEADWINDS Robert J. Gordon, NBER WORKING PAPER SERIES, Working Paper 18315 ; ADIEU À LA CROISSANCE, Jean Gadrey. Les Petits Matins, 2010 ; Les limites de la croissance, Dennis Meadows, Donella Meadows, Jorgen Raders, éd. Rue de l’échiquier, 2012
[11] http://www.manicore.com/documentation/serre/kaya.html
[12] http://www.manicore.com/documentation/esclaves.html
[13] La femme automate, Paolo Bacigalupi, 2012
[14] John Stutz, Climate change, development ans the three-days week, Tellus institute, 2 janvier 2008, cité par Naomi Klein, Tout peut changer, Actes sud, 2015
[15]http://www.fermedubec.com/ecocentre/Etude%20mara%C3%AEchage%20permaculturel%20-%20Rapport%20interm%C3%A9diaire%202013.pdf
[16] Source Insee, emploi par secteur, ESEAN, 2012
[19] Bernard Perret, Au-delà du marché – Les nouvelles voies de la démarchandisation, éditions Les petits matins, 2015
[20] Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, Seuil, 2014, page 838
[21] Arnaud du Crest, Les difficultés de recrutement en période de chômage, L’Harmattan, 2000
[22] Arnaud du Crest, Scénarios pour l’emploi et la formation, la fuite des niveaux, L’Harmattan, 1997
[23] Nous faisons l’hypothèse que cette fonction est de nature exponentielle, mais une fonction linéaire, simplement proportionnelle, ne changerait pas le raisonnement.
[24] Loi de Finances rectificative pour 2012-III
[25] Créations successives des Missions locales en 1982, des Plan locaux d’insertion en 1998, réforme des Maisons de l’emploi en 2009, toutes supposées coordonner l’ensemble des dispositifs mais ajoutant chaque fois une couche au système.
[26] Les matières plastiques, les PCB, bisphénol A, des phtalates, des pesticides … contiennent des molécules isolantes, qui isolent de l’électricité par exemple, mais isolent aussi les cellules les unes des autres, une fois à l’intérieur de notre corps, ce qui perturbe la capacité de réaction des cellules aux maladies, ou accélère les maladies.
[27] Les 3 625 data centers recensés au niveau mondial représenteraient 3 % de l’électricité consommée dans le monde, et dans les pays développés, ce serait 8 à 10 %. Source Le Monde, 27 mai 2015.
Un peu complexe dans les démonstrations, il me faudrait y consacrer un peu plus de temps, (je suis au travail ma productivité va s’en ressentir!) mais à 100% d’accord sur les grands principes. Cette course effrénée à la productivité d’un côté et à la croissance de l’autre n’a plus aucun sens et ne sert qu’à entretenir, sans doute à court terme, un système de surconsommation au service de l’argent roi sans considération de l’humain. Fabriquons des produits de qualité, maintenables, payons les services et les produits à leur juste valeur, exploitons ainsi mieux les ressources naturelles et de l’emploi il y en aura pour tous.
Mais au fait quels politiques tiennent-ils ce langage? Personnellement je n’en entend pas beaucoup car quel que soit leur bord je pense qu’ils s’accoutument très vite aux avantages matériels que leur procure ce système. L’avidité et la cupidité sont des travers humains qui ne sont pas prêts de disparaître
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