De nombreux travaux ont décrit l’effondrement des civilisations au cours de l’histoire des Hommes (voir par exemple les travaux de Jospeh Tainter sur ce blog). Trois chercheurs des universités de Maryland et du Minnesota ont publié un article[1] où ils s’essaient à modéliser l’évolution des sociétés humaines en fonction de quatre critères : la population, les ressources naturelles, le surplus accumulé dénommé richesse, et enfin le degré d’inégalité de revenu dans la société. Ces variables sont intégrées dans un modèle mathématique du type prédateur/proie qui décrit la dynamique de compétition entre deux populations animales, mais en considérant ici l’Homme comme « prédateur » et la nature comme « ressource » sans que cela ait de connotation idéologique, malgré l’usage des mots on est loin de l’écologie radicale. On verra en particulier que la recherche d’une situation durable se fait en fonction d’un niveau optimum, et non minimum, de population.
Quatre mécanismes fondamentaux
Comme pour la plupart des travaux utilisant des modèles, c’est plus la mise en évidence des mécanismes qui est intéressante que les résultats chiffrés. Nous en présentons quatre.
Il y a deux causes possibles d’effondrement dans ce modèle, soit une surexploitation des ressources naturelles, qui fait qu’à un moment les ressources sont insuffisantes pour nourrir la population, qui s’effondre, soit la diminution de la population au travail (les producteurs) qui devient insuffisante pour exploiter les ressources restantes. Les deux sont évidemment liées, mais l’une des causes peut intervenir avant l’autre et surtout, le départ de population peut rendre inutile, inexploitée, la régénération ultérieure des ressources naturelles (ex. les Mayas).
Ce résultat complète celui du modèle du Club de Rome, où l’effondrement de la population suit celui des ressources. Cela pourrait donc être l’inverse.
Le degré d’inégalité de revenu est schématisé par deux segments de population : les producteurs qui exploitent les ressources naturelles, et l’élite, qui ne produit pas et donc qui prélève une partie de la production pour se nourrir. Il peut s’agir des chefs, des prêtres, des artistes… Le degré d’inégalité de revenu entre ces deux segments apparaît comme une variable essentielle pour l’évolution des modèles. Plus l’inégalité est importante, plus le prélèvement de l’élite est fort, plus grand est le risque d’effondrement. On peut faire ici une relation avec les travaux de Thomas Piketty sur l’inégalité croissante des revenus dans notre économie.
Le niveau optimum d’exploitation des ressources naturelles renouvelables et d’accumulation de richesses qui permet le niveau durable (l’optimum) le plus élevé de population se situe à la moitié du potentiel de ressources renouvelables total, dans une société où il n’y aurait pas d’écart de revenu entre l’élite et la population productive (société définie comme « équitable »). L’optimum est même plus élevé si toute la population travaille, chefs compris (comme par exemple chez les Papous de Nouvelle-Guinée, cf. J. Diamond). C’est ce que les auteurs définissent comme société « égalitaire ».
La surexploitation des ressources peut durer un certain temps, puisque les élites prélevant leurs ressources sur les producteurs ne sont pas tout de suite touchées par leur diminution. C‘est, globalement, ce que nous vivons aujourd’hui si l’on considère les élites comme les classe aisées des pays développés et les producteurs comme les populations produisant des matières premières en Afrique et en Asie.
Le modèle ne prend pas en compte l’effet des technologies, dont les possibilités n’ont sans doute jamais été aussi importantes dans l’histoire des hommes. Les auteurs le signalent, tout en ajoutant que l’effet rebond a, jusqu’à présent, été supérieur à l’effet technologies dans l’usage des ressources. C’est-à-dire qu’une technologie qui permet de produire avec moins d’énergie ou de matériaux induit, de fait, une augmentation telle de la production – moins coûteuse – que l’exploitation de ressources est plus importante.
Quelques exemples de scénarios
Effondrement par surexploitation des richesses naturelles
Si l’on considère que les revenus entre élites et producteurs sont équivalents (société égalitaire, en tous cas par rapport à la période d’aujourd’hui), ce modèle présent une société qui a accumulé un niveau de richesses (wealth) équivalent à 20 fois la capacité annuelle de production renouvelable de la nature. Les ressources s’épuisent après 300 ans de ce régime, les richesses sont épuisées 50 ans après et la population s’effondre. Ce serait l’exemple de la Mésopotamie où l’écart de revenus, qui existait, serait considéré comme nul car sans commune mesure avec ce que nous connaissons aujourd’hui.
Au contraire, une société où le niveau d’exploitation des ressources est de l’ordre de la moitié du potentiel et le niveau d’accumulation de richesse de deux fois le potentiel permet d’arriver à un état stable à partir de + 400 ans de vie de la société.
Pour des sociétés inégales, nous présentons deux cas. Celui d’un effondrement dû au départ de la population des producteurs (commoners) dès que la population des élites augmente fortement, dans un contexte d’inégalités fortes (1 à 100, ce qui est le cas entre les ouvriers et les populations les plus riches aujourd’hui). Les producteurs quittant le pays, la nature se régénère, mais c’est trop tard, 100 ans après la population des élites s’effondre, il n’y a plus personne pour les nourrir (cas des Mayas).
Une situation stable pour une société inégalitaire (mais moins, de 1 à 10) semble possible, mais avec un taux de prélèvement sur les ressources naturelles faible, de l’ordre du dixième du potentiel, et une population faible également.
En conclusion, selon ce modèle, nous aurions le choix entre bénéficier largement des ressources naturelles mais en limitant drastiquement les inégalités entre nous, ou limiter fortement l’exploitation de ces ressources en « préservant » la situation de l’élite. Toute autre situation pourrait conduire à l’effondrement.
Or nous en sommes actuellement à un degré d’inégalité de l’ordre de 1 à 25 entre le millième des plus riches (soit quand même 60 000 personnes en France) et la moyenne du reste de la population, cet écart atteignant 50 au Canada et 70 aux USA. Cet écart ne fait que s’aggraver (cf. Thomas Piketty). L’écart du revenu national brut entre pays varie de 1 à 430 entre le Congo (RDC) et la Norvège (Banque mondiale).Les stocks de ressources non renouvelables et renouvelables sont déjà en voie de diminution (eau, sols, forêts tandis que l’accumulation de richesses et la population continuent d’augmenter. Tous les éléments de crise sont présents.
[1] Safa Motesharreia, Jorge Rivasb, Eugenia Kalnayc, Human and nature dynamics (HANDY): Modeling inequality and use of resources in the collapse or sustainability of societies, , Ecological economics 101 (2014) 90-102, avril 2014, http://dx.doi.org/10.1016/j.ecolecon.2014.02.014
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