Philippe Bihouix, L’âge des low tech

Voici un livre drôle, engagé, instructif, qui donne envie d’agir. Pas si courant. Un livre parfois vite écrit, approximatif, mais ça fait partie du jeu. C’est une symphonie inachevée.

Le titre est accrocheur, mais le livre ne traite pas que de technologies, il aborde aussi les questions de l’épuisement des ressources, de la baisse nécessaire de la consommation, des politiques monétaires… Nous rendons compte ici essentiellement de l’aspect relatif aux technologies et à la consommation, le reste étant développé dans de nombreuses autres publications.

Les limites des technologies de haute consommation en énergie et matière première

Les technologies ne peuvent pas, ne peuvent plus en tous cas, répondre à tout. Quelques exemples.

Agriculture : les rendements de céréales stagnent depuis une dizaine d’année (en blé rendre 70 quintaux/ha), ce qui est masqué par la hausse de la productivité par travailleur/ha, qu’il ne faut pas confondre avec le rendement ! Les technologies comme le labour avec GPS ou les tracteurs de plus en plus puissants permettent à une personne de cultiver plus d’ha, pas de produire plus par ha. Ajoutons que le rendement des vaches laitières stagne lui aussi.

Électronique : la loi de Moore va buter sur « une réalité bien physique : en-deçà d’environ 10 nano mètres, les courants de fuite ne permettent plus de faire fonctionner un transistor« .

Énergie : les technologies de production d’énergie sont de moins en moins efficientes, c’est à dire que leur rendement est de moins en moins élevé, comme on peut le montrer par le calcul du retour sur investissement énergétique : il suffisait en 1930 « de 2 à 3 barils de pétrole pour en produire 100 dans les champs géants d’Arabie Saoudite, il faut en investir 10 à 15 pour produire ce même pétrole offshore« . Il en faut 30 pour les sables asphaltiques au Canada.

Recyclage : par exemple le nickel est actuellement recyclé à 55%, ce qui peut paraître convenable. Mais au bout de trois cycles il restera moins de 20 % de la ressource initiale (55%x55%x55%). Le recyclage est possible pour les usages mécaniques des métaux mais pas pour des usages de type dispersif comme les additifs dans les peintures et les cosmétiques (95% des usages chimiques du titane, 14% de l’étain…) ou les nano particules dans les chaussettes.

Les limites des modèles à la mode

Face à ces limites des technologies classiques, d’autres postes sont explorées. Bihouix  élimine rapidement les solutions à la mode comme les biotechnologies, les nanotechnologies ou la dématérialisation. Mais il assassine aussi en passant d’autres pistes comme l’économie de fonctionnalité et l’économie circulaire, qui sont certes ambivalentes mais pas à rejeter en bloc. L’économie circulaire ne peut se réduire au recyclage, l’économie de fonctionnalité peut favoriser le partage ?

Pour Philippe Bihouix l’objectif est la réduction de la consommation : « l’enjeu n’est pas entre croissance et décroissance mais entre décroissance choisie ou décroissance subie« . Les technologies basses, au sens de basse consommation en matière première et en énergie, peuvent nous aider à construire ce nouveau monde.

Exemples de technologies basses en énergie et matière première

Développer l’agriculture biologique utilisant moins d’intrants (engrais chimiques, produits de traitement). P. Bihouix ne cite pas la culture sans labour, bel exemple de la contribution des sciences (la pédologie ici) aux technologies basses à condition de pratiquer sans recours aux herbicides, avec couverture permanente du sol ou mulch de paille.

Isoler son propre corps avec un pull au lieu de vouloir isoler des pièces entières.

Utiliser du savon au lieu de gels douche pour éviter les emballages plastiques, du savon au lieu d’une bombe à raser. Nous ajoutons se laver les cheveux à l’eau claire au lieu de les agresser avec du shampoing.

Nettoyer les sols en utilisant la cendre de cheminée, pour ceux qui en ont une.

Préférer les crayons de couleur que les feutres (dont l’encre est pleine de produits chimiques).

Imprimer les publications et teinter les vêtements ou les jouets avec des couleurs naturelles en évitant d’utiliser des pigments métalliques.

Utiliser une cafetière italienne (ou Melita) au lieu d’une machine expresso à capsules jetables.

Ramasser les feuilles mortes avec un balai et non une souffleuse à moteur. Utiliser une chignole à la place d’une perceuse (j’en ai une à votre disposition si vous voulez). Privilégier à la voiture le vélo dont l’efficience est sans comparaison : un vélo transporte 80 kg pour une charge totale de 90 kg, une voiture 80 kg pour une charge totale d’une tonne. Mais on essaiera de continuer à se servir d’inventions plus utiles comme le lave-linge.

Privilégier les réseaux à fils aux réseaux sans fil, énergivores, par exemple pour le téléphone domestique.

Utiliser les excréments humains comme engrais organiques pour l’agriculture. C’est ce qui se faisait autrefois mais ça suppose un développement des toilettes sèches comme en Europe du Nord. Et c’est un super exemple de véritable économie circulaire : rendre à la terre ce qui en vient.

Des organisations plus simples

Les basses technologies sont aussi des anciens/nouveaux modes d’organisation, il n’y a pas que la technique dans la vie.

Proposer le plat du jour dans les restaurants avec éventuellement une variante, en évitant les cartes riches de plats préparés qui sont composés de manière industrielle.

Pour le recyclage du verre, collecter tous les récipients ensemble, puis trier les morceaux de verre de couleur par une machine électronique pour pouvoir refaire du verre blanc et du verre coloré, ou trier en amont, ou mieux encore ne produire que du verre blanc?

Supprimer la grande distribution (problèmes de déplacements, de surface, d’emballages).

Réduire notre consommation de ressources

Limiter notre consommation de viande.

Brider les moteurs de voiture à 120 ou 90 km/heure (la sensation de vitesse peut être la même si le gabarit de la voiture diminue aussi), réduire la vitesse des trains sont l’énergie consommée augmente au carré de la vitesse. Supprimer les avions pour les trajets de moins de 1000 km.

Réduire la capacité des bandes passantes des réseaux de communication. Vous ne pourrez plus voir les derniers films sur votre téléphone, et alors ?

Orienter les productions de luxe vers les produits intégrant beaucoup de valeur ajoutée (temps de travail comme la haute couture ou l’ébénisterie) et non plus vers la consommation d’énergie (yachts à moteur) ou les ressources rares (diamants, or, platine…).

Réduire notre consommation d’espace

Diminuer la surface de nos logements.

Privilégier les sports qui utilisent le moins d’espace, comme le basket ou le volley (40 m2 par joueur) plutôt que le golf (100 000 m2 par joueur).

Des pistes de réflexion sur l’emploi

Ayant été longtemps travaillé sur les questions d’emploi, j’ai particulièrement apprécié les passages relatifs à ce sujet.

Pour ceux qui considèrent les hautes technologies comme nécessaires au développement de l’emploi qualifié, la formule de P. Bihouix est percutante : « on remplace les anciens métiers peu qualifiés par d’autres« . En effet remplacer la postière par une machine à affranchir, un vendeur de café par un distributeur, c’est remplacer ces métiers par des emplois de livreurs et d’agents de maintenance pas plus qualifiés, un néo prolétariat. De plus on détruit de l’emploi local car l’essentiel du contenu de ces machines est fabriqué à l’étranger.

Pour ceux qui considèrent que la catégorie des riches est utile car ils créent de l’emploi par leur consommation, on peut tout aussi bien dire « qu’elle crée un surcroît de travail pour la population active » (c’est d’ailleurs la théorie de Georges Bataille : La part maudite de l’économie). Nous travaillons en moyenne un mois par an pour les produits de luxe de l’oligarchie sans apport pour le reste de la société.

Enfin, le calcul du bilan global d’une diminution de la consommation sur l’emploi doit prendre en compte le rapport entre activité rémunérée et activité domestique qui changera. Il est probable qu’il y aura moins de travail salarié, que nous aurons moins de moyens financiers, mais plus de travail domestique.

Il y a aussi quelques propositions plus rapides, et discutables, par rapport au revenu universel.

Ces réflexions vous paraissent hors de portée, irréalistes ? « Expérimentons, tant pis si ça ne fonctionne pas, au moins nous aurons essayé quelque chose ! Et quel bonheur entre temps d’ouvrir une nouvelle brèche, une perspective, différente de celle d’un système à bout de souffle« . Tout n’est pas perdu, nous sommes dans un système complexe, dans lequel il y a des boucles de rétroaction qui fonctionnent et dans les deux sens. Pour renforcer la complexité dans un sens, la réduire dans l’autre sens. Par exemple diminuer nos besoins en matières premières diminuera le besoin en énergie. Rien n’est perdu d’avance.

Résumé

Changer
De technologies
Privilégier les outils sans moteur (bricolage, nettoyage, transport),
Les techniques sans produits chimiques (agriculture, nettoyage, colorants),
Les réseaux avec des fils (téléphone).

Les organisations
Une diversité de produits limitée, dans les restaurants, les magasins,
Des circuits plus courts (disparition des grandes surfaces).

Réduire
Notre consommation d’énergie et de matières
L’énergie dans les produits alimentaires (viande, surgelés) et dans les moyens de transport (voiture)
La vitesse dans les transports (voiture, train)
La capacité des réseaux de communication (téléphone internet…)
Notre consommation d’espace
Logements
Types de sports

Philippe Bihouix, L’âge des low tech, éd. du Seuil, 2014

3 commentaires sur “Philippe Bihouix, L’âge des low tech

  1. P. Bihouix est peut-être bien avisé de ne pas citer la culture sans labour car elle est le plus souvent du domaine des technologies « hautes »: recours aux OGM tolérants aux herbicides et herbicide associé, semoir et tracteur lourds. Car la fonction première du labour est de lutter contre les mauvaises herbes. Si une agriculture sans labour et sans recours aux herbicides est possible, avec couverture permanente du sol ou mulch de paille qui recouvre la terre, elle reste minoritaire par rapport au non labour associé au couple OGM/herbicides (comme notamment en Argentine, Brésil Etats-Unis).

    J’aime

  2. Merci de votre réaction. J’avais en tête l’exemple d’un mai qui pratique effectivement la couverture végétale du sol. Mais toute technique est ambivalente, et la culture sans labour n’y échappe pas !
    Je modifie mon texte

    J’aime

  3. Bonjour Monsieur
    Je suis en train de lire votre ouvrage « L’âge des low tech », attentivement et surtout avec effarement. Vous démontrez preuves à l’appui que l’intrication entre les « briques » constituant notre civilisation est si diabolique qu’il est quasi impossible de bouger ou changer l’une d’entre elles sans déclencher une catastrophe ailleurs. Malgré mon âge je frissonne, je vois pointer la fin de la race humaine, pas à échelle géologique mais bientôt, demain ou juste après.
    Je pense quand à moi que le pire pour la survie de l’humanité est la démographie galopante, il me semble que tout le reste (épuisement des ressources, …) en découle, plus nous sommes nombreux plus la fin approche.
    Pour commencer à changer quoi que ce soit, il faudrait que la plus petite partie (n’importe quel être humain lambda) en prenne conscience, totalement utopique !
    Merci.

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s