On approche d’un changement d’état de la biosphère

Approaching a state shift in Earth’s biosphere[1]

Nature, vol 486, 7 juin 2012

Cet article de Nature est  une revue des travaux de 22 scientifiques en majorité des États-Unis, mais aussi de Finlande, Chili, Canada et Espagne. Chaque paragraphe, parfois chaque phrase, est en fait un résumé des conclusions des études citées, il n’y a donc pas d’argumentation détaillée pour chaque proposition/affirmation, que le lecteur pourra vérifier dans les sources. Les auteurs ont mis en commun leurs travaux issus de l’analyse de systèmes écologiques, de la paléontologie, la dynamique des populations pour ne citer que quelques-uns des domaines qui y contribuent. Nous en présentons ici une analyse générale, suivie d’un résumé des idées qui nous ont semblées les plus importantes.

Présentation générale

Le texte part du constat que les prévisions sur le changement du système biologique ne sont généralement évalués qu’en fonction des prévisions de changement du climat. Cette approche apparaît nettement insuffisante et ne prend pas en compte les changements critiques générés par les effets de seuil, qui peuvent causer des changements d’état (state shift). La plupart des travaux sur ce sujet portent en effet sur des périmètres limités et sur des espaces de temps courts. Or des changements importants du système biologique ont déjà eu lieu, au niveau planétaire, sur des temps longs, qui serviront de référence aux travaux.

Le problème traité ici n’est donc pas de savoir de combien la température va augmenter, quel sera le niveau des océans, mais de quelle façon ces changements, considérés comme inéluctables, vont modifier la biosphère. On y associe ici la croissance de la population humaine et la fragmentation de l’habitat comme des facteurs autonomes. C’est donc une approche qui prend en compte à la fois les effets de l’occupation de l’espace et du changement climatique, comme l’empreinte écologique, mais avec en permanence un référentiel historique de long terme et un indicateur beaucoup plus simple, et moins contestable. Cet article représente, de notre point de vue, l’amorce d’un rapport équivalent à celui du GIECC sur le changement climatique, dans le domaine de la biodiversité, et de notre espèce humaine en particulier.

Le grand intérêt de la démarche est de centrer l’analyse sur la richesse qui nous entoure, la biodiversité, car c’est elle qui est la condition du maintien de nos conditions de vie, de notre « richesse ». C’est donc une démarche qui associe l’approche anthropocentrée et l’approche environnementaliste biocentrée (l’écologie radicale) trop souvent perçues comme opposées. C’est comme dirait un chinois l’association du yin et du yang. C’est donc une démarche pleinement systémique.

L’indicateur central de l’occupation du territoire qui sert de référentiel a donc une double nature qui peut peut-être permettre de dépasser la crainte qu’un nouvel indicateur unique devienne une nouvelle icône (comme le PIB). Pour cela il faut pouvoir le décliner à différents niveaux géographiques, et nous proposerions volontiers de le faire selon la théorie des fractales. Si la part de l’espace « libre » est de 50 % au niveau mondial, avec une répartition des valeurs que l’on peut calculer par pays, régions ou continents, quelle est la distribution de cette valeur dans chaque pays, dans chaque commune sur chaque km², chaque ha… ? Il y a des espaces libres ou sauvages qui renaissent au sein de chaque fissure de macadam ou de béton, des espaces colonisés sur les plages les plus reculées.

La conclusion de ce travail est proprement dramatique : un basculement d’état de la planète pourrait intervenir à partir de 2025 (mais peut-être avant ou bien après), et ce sans tenir compte des effets croisés du changement climatique (vers 2050 ? selon les hypothèses du GIECC) et de la crise des ressources (vers 2030 ? selon Denis Meadows) et des modifications des systèmes océaniques. Si l’échéance est incertaine, les conclusions issues des phases précédentes sont mieux appréhendées : disparition de nombreuses espèces, modification du patrimoine génétique, perte de « services de la nature »…

 

Mon résumé

 

Les facteurs de changements actuels sont :

–                     La croissance de la population humaine et de sa consommation,

–                     La transformation et la fragmentation de l’habitat,

–                     La production et la consommation d’énergie,

–                     Le changement climatique.

L’article traite essentiellement des deux premiers facteurs, dont l’effet s’ajoute aux deux derniers, largement traités par ailleurs.

 

L’indicateur central : la part de la surface terrestre modifiée par l’homme

Lors de la dernière glaciation, 30 % de la surface du globe fut couverte de glaces. Cela entraîna des extinctions d’espèces entières. Actuellement, 43 % de la surface du globe est modifiée par l’homme. Un basculement d’état de la Terre pourrait intervenir quand 50 % à 90 % de la surface aura été transformée par l’Homme (mais moins s’il y a des synergies entre les causes de changement).

 

Si la surface modifiée par habitant actuelle (0,92 ha) ne change pas, ce taux de 50 % pourrait être atteint pour une population de 8,2 milliards d’habitants, soit en 2025[2].

 

Les ordres de grandeur et la vitesse des changements locaux et globaux sont nettement plus importants que ceux qui ont caractérisé le dernier changement d’état de la Terre il y a 11 000 ans, donc la probabilité d’un futur changement d’état de la Terre est hautement probable dans quelques décennies (ou siècles), s’il n’est pas déjà engagé. Sur 30 % de la surface du globe, la vitesse du changement climatique est supérieure à la vitesse de dispersion des espèces lors de la dernière transition interglaciaire.

 

Les conséquences

La dernière période de passage glaciaire / interglaciaire (il y a 11 000 ans) a provoqué :

–  des modifications de la distribution des espèces, de leur abondance et de leur diversité,

–  de nombreuses extinctions d’espèces,

–  l’émergence de nouvelles communautés et de nouveaux patrimoines génétiques.

 

Des changements de cette nature sont en cours, aussi bien dans les espaces contrôlés par l‘homme que dans les espaces qu’il n’occupe pas de manière importante. Bien que les effets finaux des modifications de la biodiversité ne soient pas connus, si un seuil critique des services des écosystèmes (pollinisation et production alimentaire, absorption de CO2, cycle d’évapotranspiration et pluies…) était atteint et qu’en même temps la demande globale augmentait (il est prévu + 2 milliards d’habitants dans 30 ans), des troubles sociaux, une instabilité économique et des pertes de vies humaines en résulteraient.

Il est donc essentiel d’anticiper ces situations.

 

Trois approches pourraient aider à anticiper les changements.

1 Repérer les changements à l’échelle globale, par la part des surfaces modifiées par l’homme,

2 Repérer les changements locaux causés par le changement global par une intégration des données spatio-temporelles sur longue durée des formes macro-écologiques, des dynamiques de population, de la stabilité des réseaux écologiques,

3 Analyser les synergies et boucles de rétroaction entre écosystèmes et entre échelles dans les écosystèmes.

 

Un guide vers notre futur biotique

L’élaboration d’une stratégie de gestion de ce changement (guidance) nécessite non seulement des travaux scientifiques mais aussi une volonté de la société d’intégrer les prévisions d’instabilité biologique dans des stratégies de maintien du bien-être. Ceci demandera de

–          réduire la croissance de la population et de la consommation par tête,

–          augmenter rapidement la part des énergies non fossiles et devenir plus efficient pour l’usage des énergies fossiles quand il n’y a pas d’autre alternative,

–          accroître l’efficience de la production et la distribution de  l’alimentation plutôt que d’utiliser de nouveaux espaces non encore cultivés,

–          renforcer les efforts pour protéger des réservoirs de biodiversité terrestres et marins et la part de la Terre non occupée par l’homme.

C’est la condition si nous voulons orienter la biosphère vers les conditions que nous souhaitons, plutôt que vers celles qui nous seront imposées sans que nous le voulions.


[2] Pour Denis Meadows, Les limites de la croissance, 2012, éd. rue de l’échiquier, les conséquences de l’épuisement des ressources pourraient intervenir vers 2030. Les deux effets convergent… et seraient à plus court terme que les effets visibles du changement climatique.

 

2 commentaires sur “On approche d’un changement d’état de la biosphère

  1. Je partage votre constat et vos inquiétudes. Dans mon billet du 18 juillet, j’ai exprimé autrement les mêmes craintes face à la fuite en avant hyperproductiviste et ses conséquences. Vous « osez » suggérer une inflexion de la croissance démographique. Faut-il suggérer une éducation au contrôle de la natalité? Dés que l’on aborde cette question…le mot « malthusien » est utilisé pour revenir au tabou.Et pourtant c’est un vrai problème.

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  2. on pourrait aussi aborder : la décroissance.
    On parle de gestion et répartition de l alimentation. j irai plus loin en réduisant le lobbying de agroalimentaire, pour réapprendre aux US de se nourrir avec moins de viande rouge et plus de végétaux… ce qui libérerait de l espace agricole pour nourrir la population au lieu de polluer et gaspiller des espaces de terres pour bovins et apport d’eau par camions citernes…

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