Jean Pisani-Ferry, Rapport à la Première ministre, Mai 2023
Un rapport solide et intéressant, des points d’accord et un point de désaccord.
Les points d’accord : la définition des objectifs climatiques devrait être mesurée en bilan carbone et non en taux d’émissions en 2050. L’écart des émissions cumulées entre ces deux méthodes est de 1 à 2,6 !
La répartition des financements des dépenses liées à la transition énergétiques doit être équitable, d’où la proposition d’un impôt urgent les patrimoines financiers des plus riches.
La demande de prévoir des sanctions au niveau européen en cas de non respect des objectifs de réduction des gaz à effet de serre, car on sait que les déclarations incitatives ne suffisent pas.
Une alerte: le puits de carbone des forêts françaises s’effondre, ce qui repose la question du calcul des émissions nettes ou brutes.
Un point de désaccord : l’option sobriété est évacuée en une ligne dans le rapport de synthèse, alors que le rapport du groupe sobriété mis en annexe indique un potentiel non négligeable de réduction de 30% des émissions de GES a l’horizon 2050 GIEC, niveau mondial) ou de 15% de la consommation d’énergie (France). Il semblerait y avoir là un choix politique (ou idéologique ?).
Définir l’objectif en émissions 2050 ou en budget carbone ?
C’est un peu technique mais fondamental, se limiter à définir un objectif pour 2050 sans fixer un plafond des émissions carbone cumulées à cette date est irresponsable. La réduction des émissions cumulées varie de 25% à 66% !
Le modèle permet d’examiner comment les trajectoires optimales de consommation et d’investissements brun et vert sont affectées par trois options de politique climatique :
– une obligation de nullité des émissions de 2050, sans contrainte pour les autres années ;
– une limite additionnelle d’émissions pour 2030, afin de représenter la stratégie européenne et française ;
– un budget carbone (limite supérieure au cumul des émissions), qui est la meilleure traduction de l’objectif international de limitation de la hausse des températures. P 80
Au total, l’imposition d’une contrainte zéro émissions à partir de 2050 réduit les émissions cumulées de 25 %, et la valeur actualisée de la consommation de 10 % environ. La fixation d’un budget carbone cohérent avec les objectifs de l’Accord de Paris réduit les émissions cumulées des deux tiers et la valeur actualisée de la consommation de 15 %…
De ce point de vue, il y aurait utilité à ce que la France et l’Union européenne respectent non pas seulement des objectifs 2050 et 2030, mais un budget carbone, c’est-à-dire d’une contrainte sur le cumul de leurs émissions futures.
Exigence d’équité
Ce principe est essentiel et introduit ce qui suit sur les hypothèses de financement. Il est très intéressant qu’un rapport officiel aborde ce jet de justice fiscale.
Trois hypothèses
– Quota individuel de voyages en avion, ou celle, plus élaborée, de comptes carbone individuels.
– Conditionnalité des aides et récupération de la plus-value par l’État en cas de cession du bien.
– Tarification duale garantissant à chaque ménage l’accès à un quantum d’énergie à prix administré. p 108
L’exigence d’équité de la transition climatique pose des questions nouvelles, auxquelles nos critères usuels de justice sociale et d’équité territoriale n’apportent pas de réponse toute prête. Faute de délibérer sur les critères d’équité qui fondent l’action publique, et faute de construire un consensus autour d’un concept partagé d’équité climatique, le risque est grand d’aboutir à une solution qui ne sera ni économiquement efficace ni socialement juste. Il y a urgence à entreprendre cette mise à jour. P 109
Financement : impôt ou réduction des aides aux fossiles ?
Le rapport évalue les besoins de financement à 25 a 34 milliards d’euros par an. Le financement possible est évalué à une partie des 25 milliards de financement brun, un impôt sur le patrimoine financier pour 5 milliards, le reste par l’endettement qui est considéré comme justifié puisqu’il financerait des investissements et non du fonctionnement. Ce qui a retenu l’attention est seulement la proposition de l’impôt, une partie limitée du financement.
Selon le budget vert pour 2023, les dépenses de l’État défavorables à l’environnement s’élèvent en 2023 à un peu plus de 10 milliards, hors mesures exceptionnelles de protection des consommateurs contre les hausses de prix de l’énergie, dont 6 milliards environ de dépenses fiscales brunes, essentiellement des détaxes de combustibles pour certaines professions. Il s’agit cependant d’un minorant, puisque ne sont classées en dépenses fiscales que les rabais explicites dérogatoires du droit commun. Le coût de la non-taxation du kérosène n’en fait par exemple pas partie. P 115
S’agissant des collectivités territoriales, aucune source de même nature ne peut être mobilisée, mais on peut tenter une approximation à partir du montant de leur FBCF en 2021 (50 milliards d’euros environ, dont environ 9 milliards de dépenses « brunes »). Le total des dépenses et dépenses fiscales brunes des administrations publiques serait de l’ordre de 25 milliards d’euros par an. Le potentiel de redéploiement est donc plus que significatif.
Pour souhaitable qu’il soit, un financement intégral par redéploiement (i.e. par la réduction de dépenses, brunes ou autres) apparaît cependant peu réaliste. Restent alors l’inflation, l’endettement ou la fiscalité. P116
P 120
Un prélèvement dédié, explicitement temporaire et calibré ex ante en fonction du coût anticipé de la transition pour les finances publiques pourrait par exemple être assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés.
L’actif financier net des ménages était de 4 700 milliards d’euros en 2021, dont 3 000 milliards pour les 10 % les mieux dotés. Un prélèvement forfaitaire exceptionnel de 5 5 a 34%, dans une fenêtre de trente ans, rapporterait donc 150 milliards [5 milliards/an], soit un peu plus de 5 points de PIB au total. Sources : Banque de France pour le montant du patrimoine des ménages ; Insee pour leur répartition.
Incitation sans sanction ?
Si les ambitions de l’UE en matière de climat sont claires, les résultats réels dépendront largement de l’action nationale. Or le système actuel de gouvernance repose essentiellement sur une coordination indicative, dépourvue de bâtons aussi bien que de carottes. La leçon des expériences passées (l’agenda de Lisbonne, les grandes orientations de politique économique ou la procédure relative aux déséquilibres macroéconomiques) est que la coordination indicative est au mieux modérément efficace. Que se passera-t-il si les pays n’atteignent pas les objectifs visés ? P 141
L’effondrement du puits de carbone forestier
Les objectifs climatiques sont définis par un taux d’émissions nettes, donc avec déduction des puits de carbone. Or le principal puit pour le territoire français, la forêt, s’effondre pour des raisons climatiques. Cela renforce l’inquiétude sur les puits de carbone au niveau mondial, les océans absorbant moins de CO2 au dur et à mesure de l’augmentation de l’acidification.
Les émissions nettes territoriales sont le solde des émissions brutes des différents secteurs et des émissions négatives des « puits de carbone ». Ces derniers résultent essentiellement de l’absorption du CO2 par la forêt. Techniquement, ce secteur est défini comme le secteur UTCATF (utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie). Son bilan a connu une forte amélioration entre 1990 et 2005 (passant de -24 à -47 MtCO2e), presque intégralement due à une augmentation du stockage du puits forestier liée au recul de l’agriculture au profit des surfaces boisées. Il est ensuite passé d’environ -45 MtCO2e au milieu des années 2000 à -35 MtCO2e en 2015. La dégradation s’est ensuite fortement accélérée. Il ne représente plus que -14 MtCO2e en 2021, principalement en raison de l’effondrement du puits de carbone forestier.
p 65
La sobriété écartée
La sobriété est écartée sans argumentation, voir le rapport spécifique.
En synthèse le rapport sobriété indique que le potentiel de la sobriété est de 30% des émissions finales (mondial, GIEC) et 15% de la consommation d’énergie selon Negawatt (France). P 8. Une description plus précise de Negawatt indique une diminution de la consommation d’énergie de 43 à 46 % entre 2015 et 2050. P 21. Alors pourquoi l’avoir écartée du rapport final ?
Sur le rapport final.
Si on augmente le capital de production on augmente les inégalités (capital financier ou de production) et la consommation de ressources minérales (voir Thomas Piketty) ? Est ce raisonnable ? Néanmoins si l’investissement en capital est essentiellement dans le bâtiment, comme c’est indiqué, cet impact sera moins important.
Pas d’hypothèse de réduction des logements vacants, ni de réduction de la surface par foyer.
Transport : aucune hypothèse de réduction des km parcourus. Le rapport prévoit une moindre croissance des immatriculations, mais pas une baisse. P 72
Il est intéressant d’examiner les efforts à fournir au prisme des mécanismes fondamentaux […] : substitution de capital aux énergies fossiles, réorientation du progrès technique et sobriété. …
l’essentiel de l’effort passera par la substitution de capital aux énergies fossiles.P 68
Récapitulons :
‒ atteindre l’objectif 2030 exige de réduire les émissions de 150 MtCO2e environ en dix ans, soit -35 % ;
‒ et 85 % de cet effort reposera sur une substitution de capital aux combustibles fossiles. P 69
L’essentiel est dans le bâtiment, 27 M. € dans les bâtiments tertiaires, 22 M. € dans le logement, les autres secteurs beaucoup moins, 8 énergie, 3 transport, 2 industrie et 2 agriculture (coûts annuels).
Reste à calculer le rapport d’efficacité investissement/réduction CO2.
Rapport sobriété
Les secteurs concernés par la sobriété cités sont le logement, les transports, l’alimentation, rien sur l’achat de biens ni le numérique. P 5
Correction ces deux derniers domaines apparaissent dans le scénario Negawatt p 20 : vêtements, emballage, numérique, ils sont globalement intégrés dans le scénario Negawatt.
Ce rapport n’aborde que le côté de la demande, il faudrait ajouter celui de l’offre qui est traitée dans le rapport modélisation. P 8
Potentiel 30% des émissions finales (mondial, GIEC) et 15% de la consommation d’énergie selon Negawatt (France). P 8. Une description plus précise de Negawatt indique une diminution de la consommation d’énergie de 43 à 46 % entre 2015 et 2050. P 21
Quatre types de sobriété selon Negawatt :
structurelle, (lignes de transport en commun)
dimensionnelle, (voiture plus petite)
d’usage, (moins de km)
coopérative (covoiturage)
hors efficacité énergétique (voiture aussi large mais qui consomme moins).
Potentiel GES GIEC monde 30%p 12
Alimentation 15%
Transports 5%
Logement 5%
Industrie 3%
Aviation 1%
Efficacité énergétique 17%
Étonnant cette évaluation pour l’aviation. Voir la source du GIEC ?
La part des changements de comportement et des modifications des infrastructures varie selon les secteurs, c’est ainsi 90/10 pour l’alimentation, 44/66 pour le bâtiment, 50/50 pour l’industrie, 14/86 pour les transports.
Cette évaluation est tout à fait intéressante à débattre avec des groupes pour montrer l’interaction entre actions personnelles (alimentation) et politiques (transports).
Selon RTE et l’ADEME la consommation d’électricité augmenterait de 15% en 2050, résultat d’une baisse de consommation d’une part, d’une augmentation due à la substitution aux énergies fossiles d’autre part. P 23