Croire et comprendre, la crise écologique

« Vous ne saisissez pas ? Vous ne comprenez pas encore ? Vous avez le cœur endurci ? Vous avez des yeux et vous ne voyez pas ? Vous avez des oreilles et vous n’entendez pas ? Vous n’avez pas de mémoire ? » Marc 8, 17-18

Ce texte de l’Évangile est de toute actualité. Nous ne croyons pas ce que nous savons, dit Jean-Pierre Dupuy[1], philosophe et chrétien.

Que veut-il dire avec cette formule ?

Il veut dire que nous savons, ou pouvons savoir, tout ce qui est de la crise climatique et de la crise de la biodiversité. Les rapports tombent chaque semaine sur ces sujets.

En revanche si nous ne modifions pas, ou si peu, nos modes de vie, nos modes de production serait-ce parce que nous ne croyons pas ce que nous pouvons lire et donc savoir ?

Cette expression a déjà été utilisée par Gunther Anders, un philosophe allemand, au sujet du danger de la bombe nucléaire, qui écrivait  » Nous ne comprenons pas ce que nous savons « .

Si l’on rapproche ces deux formulations, croire et savoir, comprendre et savoir, on arrive à la réflexion de saint Augustin sur la question suivante à propos de la foi, faut-croire en Dieu pour comprendre le message du Christ, ou comprendre ce message pour le croire ?

Peut-on vraiment transposer une question théologique à l’écologie ?

Oui, car dans les deux cas la réponse est incertaine. Dieu existe-t-il ? L’effondrement de notre environnement est-il inéluctable ?

Faut-il croire que les scientifiques ont raison pour comprendre leur message, ou comprendre (scientifiquement, et c’est assez complexe) leurs études pour les croire ? On entend souvent des gens dire, c’est trop compliqué, je renonce à comprendre, et du coup ils ne changent rien. Les débats sur les éoliennes, le nucléaire ou les voitures électriques en sont un bon exemple.

Sait Augustin répondait, il faut croire pour comprendre, mais aussi comprendre pour croire, c’est les deux. L’intelligence de la foi n’est pas absente du fait de croire. C’est un double appel si l’on transpose à l’écologie.

Mais désormais une majorité de personnes accepte l’idée de la crise écologique ?

Croire est une démarche volontaire et intérieure. Il faut faire la nuance entre ne pas contester la crise climatique et le rôle de l’homme dans cette crise, et croire qu’il y a une crise. C’est comme être déiste (je pense qu’un Dieu existe) et croire en Dieu (je vis de sa parole).

Cela nous amène à une 3e possibilité : entre le refus et l’acceptation du croire, il y a toute la gamme du doute sur la capacité et l’efficacité de l’action. Même quand on se laisse toucher et qu’on aime (passage de la tête au cœur), on reste parfois bien impuissant pour trouver la juste façon de passer à l’acte (du cœur à la main)… on tâtonne, on expérimente, comme on peut…

Oui c’est un appel à croire ceux qui s’expriment sur le sujet, à leur faire confiance. Avec discernement bien sûr. Mais quand ce sont des collectifs de centaines de scientifiques dans les rapports du GIEC par exemple, lus et validés par d’autres scientifiques, sur quel argument peut-on s’appuyer pour dire que leurs propos sont contestables ? Parce que un ou deux autres scientifiques les mettent en doute ? Il suffit de chercher les liens entre ces derniers et les entreprises qui les financent (pétrolières souvent) pour mettre en doute, non pas les rapports du GIEC, mais ceux de ces semeurs de doute.

Nous avons tous les moyens de savoir ce qui se passe, mais cela reste souvent au niveau intellectuel, sans nous toucher. Nous n’y croyons pas, ou pas suffisamment. Avec des mécanismes variés, du refus de l’évidence scientifique, au déni, au refoulement[2]… c’est la difficulté de passer de la tête au cœur. D’avoir du cœur, des sentiments, des émotions.

C’est là un premier appel, mais tu dis qu’il y en a un second ?

Un appel à comprendre, c’est donc à faire l’effort de comprendre, s’informer, étudier. En effet, on peut se référer ici à Hans Jonas, un autre philosophe allemand, qui disait que notre savoir devrait être à proportion de notre pouvoir sur la nature. Il ne l’est pas, ce qui nous amène à faire des dégâts irrémédiables sur la nature.

Mais si l’on sait, si on connait les risques, si même on les comprend, pourquoi n’y croyons-nous pas ?

  » Il ne suffit pas de savoir pour croire, il faut le vouloir « [3]. Le vouloir, vouloir écouter ses sentiments, la volonté, stade suprême de la vie spirituelle selon Hannah Arendt. C’est une démarche volontaire. Et qui ne peut sans doute être engagée que si nous sommes touchés par la dégradation de notre environnement et de la situation des plus pauvres, que si comme le dit le pape François, « nous osons transformer en souffrance personnelle ce qui se passe dans le monde, et ainsi de reconnaître la contribution que chacun peut apporter. » (LS 19).

Comment être touché ?

Si nous ne croyons pas, au sens fort du terme, est-que nous n’aimons pas, en tous cas pas assez, la Création, les grenouilles et les coquelicots, les montagnes et les fleuves, les autres, l’Autre ? comment les regardons nous ?

Je veux bien te croire, mis je voudrais vérifier ce que tu avances?

Voici quelques pistes.

Sur les liens des semeurs de doute :

Les gardiens de la raison, Enquête sur la désinformation scientifique, par Stéphane Foucart, Stéphane Horel, Sylvain Laurens, La Découverte, 2021
Le monde selon Monsanto. De la dioxine aux OGM, une multinationale qui vous veut du bien Marie-Monique Robin, La Découverte.

Sur des publications pour comprendre, si vous ne pouvez pas vous plonger dans les rapports du GIEC qui ne sont disponibles que sur internet et en anglais :

Les revues L’écologiste, Silence, la rubrique planète du journal Le Monde,


[1] Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Seuil, 2002.

[2] C’est assez proche du refus de reconnaître qu’un être cher a commis un acte répréhensible, comme cela arrive pour les proches des personnes ayant commis des abus sexuels. « Il y a une différence entre savoir et admettre. Cette dissociation psychique est parfois une question de survie » explique Audrey Pulvar à propos des pratiques incestueuses de Marc Pulvar, son père. Le Monde, 25 mars 2021.

[3] Pierre-Eric Sutter et Loïc Steffan, N’ayez pas peur du colllapse, DDB, 2020

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