Comment meurent les démocraties

Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, La mort des démocraties, Calman Lévy, 2019

Le titre original, How democracies die, est plus explicite. Les auteurs cherchent à expliquer l’affaiblissement des régimes démocratiques constaté dans le Monde actuellement. Leur analyse est plus une analyse des processus que des causes profondes, rapidement esquissées dans les dernières pages, mais c’est très intéressant. Nous en retirons trois idées force.

Le fonctionnement satisfaisant de la démocratie américaine au niveau fédéral entre 1865 et les années 1980 reposait sur des principes de respect mutuel, de tempérance et de de retenue entre adversaires démocrates et républicains. Ce sont ces pratiques respectueuses plus que les textes de la constitution. Mais cet accord reposait sur l’exclusion d’une partie de la population, des Noirs, que les démocrates du sud avaient privé de fait de leurs doits de vote acquis après la guerre de sécession, par des manœuvres juridiques (obligation de savoir lire, procédures d’inscription sur les listes électorales…). Le corps électoral national était donc suffisamment homogène pour passer des compromis.
La lutte pour les droits civiques qui aboutit dans les années 1970 à redonner aux Noirs la capacité de voter fait voler en éclats ce compromis. Les Noirs et les Hispaniques votent majoritairement pour le parti démocrate, rejetant les protestant blancs et les catholiques conservateurs vers le parti républicain. Les républicains sont donc en situation de danger et vont prendre tous les moyens pour prendre ou garder le pouvoir. C’est le grand enjeu des USA aujourd’hui mais aussi de nombreuses démocraties, comment les faire vivre avec une société multiethnique ?

Il faudrait pour cela, écrivent les auteurs, que les partis soient eux mêmes représentatifs des diversités de population, au lieu de ne représenter chacun qu’un côté des intérêts en place. Car, et c’est le second enseignement, c’est le rôle de filtre des partis qui permet d’éviter que des extrémistes soient élus. Des extrémistes présentés par des partis ont beaucoup de chance d’être élus, seul la classe politique expérimentée peut leur faire barrage en ne leur donnant pas l’investiture. C’est ce qui a fonctionné longtemps, mais qui a échoué avec Trump.

Troisième enseignement, le dépérissement des démocraties se fait en général par des personnes arrivant régulièrement au pouvoir, de Hitler et Mussolini à Trump, et ensuite modifiant les règles, les nominations, les usages, de manière à orienter vers un régime non démocratique. Il n’y a pas besoin de coup d’Etat, ni en Allemagne ou en Italie avant guerre, ni au Venezuela, en Chine ou en Afrique actuellement. Cela peut arriver partout, à tout moment.
C’est ce qui est en cours aux USA avec la modification, de nouveau, des règles de vote dans les États du sud pour limiter le vote des minorités ethniques ou les concentrée dans des territoires.

Dans les dernières pages les auteurs citent l’augmentation des inégalités comme une des causes de l’augmentation des tensions et des conflits dans les démocraties. En proposant des mesures palliatives mais cosmétiques, sans aller au fond (mais ce sont des politistes universitaires, pas des économistes). L’enjeu est donc double : comment faire en sorte que la diversité raciale, sociale et économique soit représentée, tout en évitant une polarisation des positions qui incite à une pratique non respectueuse des règles de la démocratie ? Il nous semble que c’est en réduisant les inégalités à la base, inégalités de revenu, de patrimoine, de services dans les territoires. Il ne sera pas possible de faire vivre les démocraties avec des sociétés de plus en plus inégalitaires. Dans l’histoire les sociétés inégalitaires ont toujours soit exclu une part de la population (les esclaves dans la démocratie grecque, les palestiniens en Israël), soit ont établi ou conservé un régime non démocratique (les Émirats arabes unis).

On rejoint ainsi la question de la transition écologique qui peut soit mettre à mal la démocratie et aboutir à un régime autoritaire si elle est menée sans réduire en même temps les inégalités, soit échouer si l’impératif des compromis démocratiques se fait au détriment de cette transition. La réduction des inégalités, donc de la place du capital dans l’économie, est primordiale.

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