Simplifier la société ou croire au progrès des consciences ?
Note de lecture de Herbert George Wells, La destruction libératrice, Grama, 1995 (The World Set Free, début 1914)
Cet ouvrage de Wells tient autant de la réflexion philosophique que de la science fiction, et il est étonnamment moderne, plus d’un siècle après sa publication.
Il relate le monde d’après une guerre nucléaire mondiale, ce qui en1914 était prémonitoire.
Prémonitoire aussi la manifestation des chômeurs qui ne demandent que du travail, qui défilent sans rien dire, sans accuser nommément des responsables. » il s’agissait … d’une supplique adressée à ces autres hommes, plus chanceux et qui semblaient plus avisés et plus puissants, un appel à quelque chose, un appel à l’intelligence. Cette foule… manifestait sa conviction. Que certains de ces autres hommes auraient dû prévoir ce genre de bouleversement… pour y apporter des solutions ». Mais, poursuit le narrateur, » je me rendais compte qu’il n’existait aucune intelligence de la sorte…. Elle était encore à créer, cette volonté de bonheur et d’ordre,,il fallait encore la rassembler, à partir de bribes d’élan et de gelés diffus de générosité… » (pp. 73-74). La solution apparaît progressivement avec la création – assez idyllique – d’un gouvernement mondial (p 185).
Prémonitoire enfin la description du monde : » le monde consommait déjà les biens matériels – de manière maladive. Ils avaient déjà utilisé les trois quarts des réserves de charbon de la Planète, ainsi que la plupart du pétrole, ils s’étaient débarrassés de leurs forêts et ils allaient bientôt manquer d’étain et de cuivre. Les terres arables s’épuisaient de plus en plus et de nombreuses grandes villes avaient tant puise d’eau dans les nappes souterraines qu’elles souffraient de sécheresse chaque été. Le système dans son ensemble forait à la banqueroute. Et malgré cela ils dépensaient chaque année des sommes d’énergie et d’argent de plus en plus considérables en matériel militaire et accroissaient sans cesse la dette de l’industrie envers le capital. » p.251.
Comme le dit le président du gouvernement » Comme le monde était devenu encombré ! Il peinait… sous le fardeau de choses sans signification… il avait grandement besoin d’une libération. » P 244. C’est l’origine du titre La destruction libératrice .
Pour Wells la question est claire : » les antiques tendances de la nature humaine, soupçon, jalousie… étaient incompatibles avec le monstrueux pouvoir de destruction des nouveaux engins qu’avait produit la science… l’équilibre ne serait restauré que si
la civilisation se sabordait elle même pour en revenir à un niveau de développement ne lui permettant plus de fabriquer ces appareillages modernes,
Ou si la nature humaine s’adaptait elle-même aux nouvelles conditions jusque dans ses fondements.
C’est pour mettre en place cette deuxième solution que l’assemblée s’était constituée. » pp. 185-186.
Ce projet est conçu donc dans une perspective de croissance spirituelle de l’humanité, et clairement chrétienne : » le christianisme fut la première expression d’un Monde religieux, la première répudiation totale du tribalisme.., de la guerre et de la discorde… le penseur scientifique qui s’attaque aux problèmes moraux posés par la vie en société, ne peut de manière inévitable qu’en venir aux paroles du Christ… » pp. 230-231.
Et Wells rêve de voir l’énergie atomique mise en œuvre pour améliorer les conditions de vie de l’ensemble de la population et ainsi lui faire accepter le nouvel ordre mondial. L’objectif est un développement homogène. L’activité agricole, encore conçue comme principale, est organisée autour de guides, sortes de coopératives de taille réduite permettant une gestion démocratique.
Une préoccupation importante est la simplification du système au niveau mondial :
l’anglais est choisi comme langue unique avec la capacité d’intégrer les vocables non européens,
Le système métrique est généralisé
La valeur des monnaies est fixée sur un étalon énergie…
Alors qu’en penser ?
La description de l’état du monde est remarquable pour l’époque.
Wells croit à une croissance de la conscience mondiale. Or on constate depuis l’émergence de la conscience de la sagesse et de la spiritualité, au VIe et Ve siècles avant notre ère (Bouddha, Confucius, Socrate) qu’elle n’a pas beaucoup évolué.
L’alternative entre une simplification technique ou une croissance spirituelle est claire, mais nous ne ferons pas le même choix, Wells est porte par son idéalisme et la croyance que l’énergie atomique va ouvrira un nouvel âge d’or. Ce ne sera pas le cas, car même si la fusion nucléaire fonctionnait elle serait hyper centralisée donc non démocratique compatible, donc il faut choisir la première hypothèse.