Sobriété et permaculture circulaire

Note de lecture de l’ouvrage de Christian Arnsperger, Dominique Bourg, Ecologie intégrale, Pour une société permacirculaire, PUF, 2017.

Voilà un petit livre doublement intéressant. D’abord parce qu’il associe étroitement la dimension personnelle et la dimension collective, la sobriété choisie et la réduction de la consommation de matière dans l’économie. Ensuite parce qu’il tente de proposer des indicateurs pour guider notre chemin vers une société soutenable ayant une empreinte écologique d’une planète.

La société que nous proposent les deux auteurs repose sur deux principes la permacircularité et la sobriété volontaire. Ou plutôt l’inverse, la sobriété choisie d’abord, volontaire, pour des raisons plus philosophiques et spirituelles qu’économiques. C’est le socle sans lequel tout projet collectif serait hors sol. On est là très proche de ce que propose le pape François dans Laudato si.

Ce n’est pas que la sobriété soit un objectif nouveau dans l’histoire de l’humanité. Ils nous rappellent Diogène, Aristote, Francois d’Assise, Henri David Thoreau, Gandhi, Pierre Rahbi… mais c’étaient des choix individuels ne mettant pas en cause la société. C’est aujourd’hui un choix personnel répondant à un impératif collectif, se rapprocher d’une empreinte de un. Un choix vécu par les militants de Villes en transition, les écovillages, les cercles de simplicité volontaire… Une critique du « vide intérieur surnuméraire, celui qui subsiste imaginairement même quand les besoins biopsychiques sont satisfaits » (p 112). Belle formule.

Le second principe est un néologisme associant la permaculture (ne pas prélever plus que ce que la terre peut régénérer en une génération), et l’économie circulaire où rien n’est déchet, tout est utilisé et réintégré dans le processus de production. C’est l’occasion d’une critique salubre de l’économie circulaire de croissance, et de l’introduction d’un nouveau terme dans ces débats, l’économie régénératrice. De rappeler aussi qu’au XIXe siècle l’économie circulaire était encore la norme (p 59).

L’objectif, rappelons-le, est d’arriver le plus rapidement possible à une empreinte écologique équivalente à notre biocapacité, donc une empreinte de un. Les moyens indiqués sont la régénération, l’efficience, la réduction. Et la réduction par le rationnement des ressources disponibles pour les entreprises comme pour les personnes. Nous sommes en guerre contre la destruction de la biosphère (ou plus exactement contre les destructeurs), le rationnement est logique. Mais quel pouvoir politique sera capable de l’imposer avant que cela ne devienne dramatiquement inévitable ?

C’est l’occasion pour les auteurs de souligner très clairement la différence entre la pollution chimique, que l’on peut limiter en modifiant les modalités de production, et les excès de flux dont on ne peut limiter les effets qu’en les réduisant : CO2, azote, phosphates… On revient à l’économie circulaire dont l’objet devrait être de s’éloigner du modèle de l’économie linéaire dont l’aboutissement est le déchet, et qui doit même viser  » à démarchandiser la nature, à soustraire du marché le maximum de ressources non renouvelables  » (p 58). Proposition radicale si l’on considère le charbon, les hydrocarbures, l’eau des nappes fossiles, la terre, les minéraux, comme effectivement non renouvelables à l’échelle humaine.

La question des limites est évidemment abordée, en constatant d’abord que l’homme est habité par un potentiel d’illimitation ; puis la limitation inévitable dans l’ordre du matériel ; enfin le retour à l’illimitation dans « la quête à priori sans bornes de la justice sociale  » (p 114).

Une partie de l’ouvrage porte sur des propositions d’indicateurs. Il ne s’agit pas d’une proposition technique mais méthodologique, et vu la difficulté à avancer sur les indicateurs alternatifs (voir les travaux du groupe FAIR), cela vaut la peine de s’y attarder. Résumons.

Ils distinguent trois niveaux d’indicateurs :

Niveau – 1. La production : efficience, circularité, recyclage, fonctionnalité…

Deux indicateurs de circularité énergétique :
Taux de substitution des énergies renouvelables aux énergies non renouvelables
Vitesse de la croissance de ce taux (dérivée du taux sur le temps).

Niveau 0. La société : degré de stationnarité
Taux de croissance de l’usage de ressources non renouvelables (objectif < 0.5 % par an)
Taux d’utilisation de ressources renouvelables ou renouvelées (biosourcées ou recyclées)
Durée de séjour des matériaux dans l’économie à maximiser
Empreinte écologique : objectif une planète

Niveau 1. Les hommes
Degré d’évolution des mentalités vers une sobriété volontaire
Équité de la distribution des revenus et des emplois
Qualité du travail et des emplois,  » stock du savoir-faire et degré de sens au travail  » (p 96)

Soulignons ici l’intérêt de ces trois niveaux, qui se rapprochent des trois sphères économique, environnemental et social, mais où le social est à un niveau supérieur à l’environnemental, et pourquoi pas ? La relative simplicité des indicateurs des deux premiers niveaux, mais a contrario la difficulté et le grand intérêt de l’indicateur relatif à la sobriété volontaire. On connait les limites ses enquêtes individuelles sur ce type de sujet, il faudrait donc une enquête de type collectif participatif, mais c’est possible.

Des pistes ouvertes

Les auteurs posent la question pertinente de la place du travail dans une société stationnaire ou les biens durent de plus en plus longtemps. Ils évoquent le Japon traditionnel  » où l’on reconstruisait à chaque génération les grands temples… pour conserver un savoir-faire précieux  » (p 95). On pense ici à la part maudite de l’économie de Georges Bataille.

Les développements sur la création monétaire sont l’occasion de faire une proposition intéressante, de remplacer le PIB par la biocapacité comme contrepartie de l’émission de monnaie (p 184). Il ne s’agit pas de remplacer le PIB par un indicateur unique qui aurait rapidement le même inconvénient d’être une icône, mais d’utiliser la biocapacité comme mesure de création monétaire possible. La biocapacité moyenne mondiale étant de 1,7 ha par personne, un quota correspondant à 1,7 ha serait accordé à chacun, et transformé en monnaie pouvant être dépensée dans l’année. Ce qui suppose que les prix des biens et services soient évalués en fonction de leur empreinte ?

Tentons un exemple chiffré pour mieux comprendre. La dépense actuelle est de 5 ha pour un revenu disponible moyen de 15 600 euros par ménage par an, soit 3 125 euros par ha consommé. Supposons que dans un premier temps chaque  Français dispose d’un droit à dépenser équivalent à la biocapacité du pays soit 2,9 ha. Chacun disposerait donc de 2,9 x 3 125 soit 9 000 euros. Il faudrait réajuster la valeur de l’ha chaque année en fonction de l’empreinte mesurée et du PIB constaté. Et progressivement ce montant serait appelé à diminuer pour se rapprocher de la biocapacité moyenne mondiale qui diminue au fur et à mesure que la population continue d’augmenter.

La capacité de prêt serait retirée au banques commerciales, mais à qui seraient versés les excédents monétaires non dépensés, s’il y en a ? En effet, à terme l’ajustement entre production et consommation ferait que chacun ne percevrait pas plus que ce qu’il peut dépenser, mais ce ne serait pas immédiat. Un modèle économétrique pourrait aider à explorer ces questions, des spécialistes pourraient s’y pencher ?

Un quota supplémentaire pourrait être acheté à un organisme de régulation mondiale, quota qui diminuerait chaque année jusqu’à atteindre l’équivalence entre biocapacité et empreinte (cette équivalence n’étant pas stable puisque dépendant aussi de la démographie).

Il faudrait déjà abandonner le ratio de dette /PIB et le remplacer par le ratio de l’empreinte écologique (même si l’empreinte écologique ne résume pas, et ne prétend pas le faire, tous les enjeux écologiques). On n’y est pas… alors que les données sont publiées régulièrement. Comment y arriver ? Nous n’en savons rien, mais le schéma que proposent les auteurs a le grand intérêt de proposer une application pratique de ce changement de paradigme et de fixer un cap. Et comme le disait Bernard Perret, ce qui nous semble impossible comme le rationnement a déjà été réalisé en temps de guerre, voir la période de la seconde guerre mondiale.

Des questions

Les auteurs décrivent la société en transition comme  » une pluralité de mondes vécus co-évoluant en parallèle à l’intérieur de normes strictement définies de façon à mettre en œuvre la défense écologique du milieu de vie » (p 126). Les composantes de cette pluralité (cette formation sociale dirait Marx) seraient le capitalisme, l’économie sociale et solidaire (ESS) et les expérimentations radicales.

Autant nous adhérons à la vision pluraliste de la société, autant il nous semble illusoire de croire que le capitalisme pourrait accepter le principe d’une réduction du volume de production d’abord et d’une économie stationnaire ensuite. En effet le moteur du capitalisme ce n’est pas la production de biens, qui n’est qu’un vecteur, c’est l’accumulation du capital. Les capitalistes ne peuvent donc que s’opposer à des mesures de réduction et de limitation de leur activité. Si l’on entend par entreprises capitalistes un secteur d’entreprises privées de production de biens et services cela devient possible, mais il s’agirait alors de ce que l’on nomme « petite production marchande » en langage marxiste, ou secteur artisanal et petites entreprises à capital familial en langage statistique. Mais il y aura, de notre point de vue, conflit avec le secteur capitaliste qui n’a de cesse de croître et de conquérir de nouveaux territoires. Il faudrait effectivement que le capitalisme accepte  » de constituer une partie [de l’économie] plutôt que le tout qu’il aspire à être actuellement  » ( p 162).

Après les biens et les services, c’est le corps de l’homme qui est aujourd’hui marchandisé, bientôt le cerveau avec l’homme augmenté, et Elon Musk rêve de vendre des voyages vers Mars… on n’en a pas fini avec cette tendance impérialiste comme disait Lénine (L’impérialisme, stade suprême du capitalisme). Démocratie pluraliste avec une empreinte écologique de 1 planète oui, mais nous doutons fort que le capitalisme y subsiste. Mais peut-être n’est-ce qu’une clause de style des auteurs ?

Sur les modalités de la transition, les auteurs proposent donc d’affecter à chaque entité productrice d’empreinte (donc chaque unité de production ou de consommation) un objectif annuel d’empreinte à ne pas dépasser (p 134 et p 1431).

Nous avons tenté plus haut une simulation chiffrée pour mieux comprendre. Mais autant l’empreinte écologique est un outil de sensibilisation très intéressant, autant il nous semble difficile d’en faire un outil de gestion. Le GFN calcule désormais tous les deux ans l’empreinte par pays au niveau mondial, mais si l’on veut des résultats plus fins, au niveau d’une région, d’une entreprise ou d’un ménage, c’est beaucoup plus compliqué si l’on veut être précis, ou assez imprécis (de l’ordre de + ou- 1 ha par personne au moins) si l’on veut un calcul simple. Nous avons fait l’expérience pour le calcul de l’empreinte de la région des Pays de la Loire (un an de travail), et nous avons réduit nos ambitions pour notre empreinte personnelle annuelle à la partie empreinte carbone de nos déplacements et du chauffage, ce qui est déjà exigeant et montre d’ailleurs qu’il n’est pas si facile de la réduire.

Et même si c’était faisable, qui calculerait, qui contrôlerait ?

Bref, plein de questions et de débats en perspective, mais c’est de cela dont nous avons besoin, et de nous mettre en marche. Ce livre y contribue largement.

Un commentaire sur “Sobriété et permaculture circulaire

  1. Votre note est très pertinente et permet d’avoir une vision davantage profonde de l’écologie, de ses bienfaits évidents et surtout qu’il est possible d’arriver à protéger notre planéte !

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