Une société de déchets ?

Émission Fleur de sel du 20 novembre 2017

Nous allons parler des déchets, c’est assez simple. Tout le monde sait qu’il faut trier ses déchets, pour les recycler, et si c’est possible mettre ses déchets alimentaires dans un compost ?

Ce sont effectivement deux des moyens de réduire nos déchets, et nous reviendrons sur le sujet du recyclage. Mais auparavant nous allons resituer cette question du point de vue spirituel. Que nous dit le pape François ?

 » La terre, notre maison commune, semble se transformer toujours davantage en un immense dépotoir. (LS 21)… Ces problèmes sont intimement liés à la culture du déchet, qui affecte aussi bien les personnes exclues que les choses, vite transformées en ordures.  » (LS 22).

La culture du déchet, c’est celle de la société de consommation ou l’on produit des objets jetables, pour en vendre toujours plus. Mais le pape ajoute qu’elle affecte aussi les personnes. En effet, les entreprises qui produisent des objets jetables, souvent peu complexes ou peu soignés, emploient des personnes dont elles limitent au maximum les compétences demandées, et qu’elles peuvent remplacer facilement si besoin. Par exemple délocaliser l’usine si les salaires deviennent plus élevés. Il y a une relation directe entre objets jetables et personnes jetables. Hannah Arendt l’avait bien montré dans Condition de l’homme moderne (1).

Des objets qui durent plus longtemps, ça coûte plus cher ? Qui pourra se les payer ?

Distinguons deux catégories de fin de vie d’un objet. Soit il est programmé pour être remplacé rapidement ou pour une durée de vie limitée, c’est le cas des imprimantes, de la plupart du matériel électroménager, des téléphones portables etc. Ce n’est pas une question de coût ou de prix mais de conception. Des associations et des élus essaient de lutter contre cette tendance, une proposition a été déposée au parlement européen. Mais les lobbies industriels pèsent de tout leur poids pour empêcher qu’on leur impose des produits moins jetables et réparables. Chaque année en France environ 40 millions de biens tombent en panne et ne sont pas réparés alors que, depuis dix ans, la moitié des emplois de réparateurs ont disparu. (4)

Le projet de rapport déposé au Parlement européen demande en particulier que les objets soient conçus pour être facilement démontables et interchangeables, que des critères de résistance minimum par catégorie de produits soient fixés, et une garantie de cinq ans, au lieu de de deux actuellement, pour le gros électroménager et les biens meubles durables.

L’autre catégorie d’objets jetables est ceux qui sont produits à bas coût, soit dans notre pays comme les meubles en aggloméré, soit dans des pays à bas coût de main d’œuvre comme les jouets en plastique, les bassines et paniers, les vêtements… Effectivement des jouets en bois fabriqués localement, des paniers en osier local, des vêtements fabriqués en Europe coûtent plus cher que s’ils sont importés de Chine ou du Bangladesh. Il faudrait alors une politique fiscale qui puisse compenser par un taux de TVA différencié les produits jetables et les produits durables. En Suède un projet de loi a pour objectif de diviser par deux la TVA pour toutes les activités de réparation. Cela pose aussi la question des inégalités de revenu dans notre pays, mais c’est une autre question.

Mais si on recycle, cela permet de continuer à consommer et on réduit les déchets ?

Il vaut mieux réparer que recycler. Le recyclage s’inscrit dans la culture du déchet puisque l’on utilise un produit jeté. Par exemple nous jetons nos récipients en verre dans des containers, ces récipients sont refondus pour refaire du verre. Cela consomme quatre fois plus d’énergie et trois fois plus d’eau de consigner les bouteilles et autres pots en verre, de les laver et les remettre en circulation. C’est ce que promeut une association de Loire-Atlantique, Bout’àBout’.

Plus généralement, par rapport à l’épuisement de nos ressources, recycler n’est pas très efficace. En effet, si je recycle 60% des matières premières d’un téléphone par exemple (cuivre, or, cadmium…) la première fois, la seconde fois je ne recyclerai que 60% de 60% soit 36% des matières premières utilisées à l’origine. La troisième fois 60% de 36% soit 18%. Et la quatrième fois on s’approche de 10 %.

Si la croissance de la production est supérieure à 1% par an, on a montré que le recyclage est très peu efficace et ne fait que reporter de quelques années l’épuisement des matières premières (2). Et si la croissance est inférieure à 1%, ou nulle, on passe dans un autre modèle économique.

Ajoutons que tout ceci ne tient pas compte des conditions humaines du recyclage. On sait que les produits électroniques sont envoyés en Afrique ou en Asie et démontés et recyclés dans des conditions proprement inhumaines. Chacun a vu des photos des tas de déchets sur lesquels travaillent des enfants pour un revenu de misère et respirant des gaz toxiques. Le déchet concerne aussi les hommes. Apprenons à réparer nos objets, cela fera moins de déchets.

Et si mon appareil n’est pas réparable, et si je ne sais pas le réparer, et si réparer me coûte plus cher qu’en racheter un neuf ?

Prenons vos questions dans l’ordre.

Il faut agir collectivement pour que tous nos produits soient réparables. Il est inadmissible que l’on ne puisse pas changer facilement la batterie d’un téléphone portable, c’est là cas des I Phone, ou réparer une prise électrique, c’est le cas des prises en plastique dites embouties. Les pièces détachées doivent rester à disposition aussi longtemps que la vie de l’objet. C’est une action politique, voyez votre député, ou intervenez auprès des association ou des partis politiques si vous pouvez.

Si je ne sais pas réparer moi-même, je peux aller voir une association pour les vélos, ou participer à un Repair café si vous êtes proches de Nantes. Tous les mois, des bénévoles réparateurs donnent rendez-vous dans un café à Nantes pour réparer des objets courants. Ou je peux demander à des voisins, des amis, essayer par moi-même. C’est un réel plaisir que d’expérimenter la réparation, de comprendre comment fonctionne un appareil, d’inventer des solutions de réparation

Par exemple mon porte-monnaie était décousu, mon cordonnier n’a pas voulu le réparer car il considérait que cela me coûterait moins cher d’en acheter un autre. Alors je l’ai recousu moi-même, et plusieurs fois depuis. Recoudre, ou repriser n’est pas compliqué, mais je reconnais que cela peut être un peu long. Réparer prends du temps, mais c’est du temps que je donne à la Création, donc c’est du bonheur. Matthieu Crawford, philosophe et réparateur de motos, a écrit un livre magnifique sur le sujet : Éloge du carburateur (3). Le réel est formateur, contrairement aux services ou rien n’est fixé dans le béton contrairement à la construction. On ne plante pas un clou dans le web dit encore A. Blinder.

Les artisans ont lancé un dispositif nommé Repar’Acteurs pour sensibiliser les entreprises artisanales à cet enjeu d’avenir.

Mais j’y reviens, cela peut coûter plus cher ?

Il est exact que faire réparer, ou acheter des pièces détachées pour réparer soi-même, peut coûter plus cher que de racheter. Mais réfléchissons un peu. Si cela coûte plus cher, c’est que nous payons moins cher celui qui produit en Chine l’objet jetable que celui qui répare dans mon quartier. Beaucoup moins cher. Et que payons peu cher les matières premières et l’énergie utilisées pour la fabrication de ces objets jetables. Une injustice pour la première raison, une attitude irresponsable et injuste pour les générations futures pour la seconde.

Tout ceci c’est de l’action individuelle, sans doute vertueuse mais insuffisante pour passer à une économie sans déchets ?

Certes, et je ne peux pas faire mieux que de citer, un peu longuement, le pape François.

 » il nous coûte de reconnaître que le fonctionnement des écosystèmes naturels est exemplaire : les plantes synthétisent des substances qui alimentent les herbivores ; ceux-ci à leur tour alimentent les carnivores, qui fournissent d’importantes quantités de déchets organiques, lesquels donnent lieu à une nouvelle génération de végétaux.  »

Le pape nous rappelle que la nature ne connait pas la notion de déchet, tout est utilisé. Poursuivons notre lecture.

 » Par contre, le système industriel n’a pas développé, en fin de cycle de production et de consommation, la capacité d’absorber et de réutiliser déchets et ordures. On n’est pas encore arrivé à adopter un modèle circulaire de production qui assure des ressources pour tous comme pour les générations futures, et qui suppose de limiter au maximum l’utilisation des ressources non renouvelables, d’en modérer la consommation, de maximiser l’efficacité de leur exploitation, de les réutiliser et de les recycler. » (LS 22)

Le pape fait ici référence explicite à l’économie circulaire, une notion inventée au Danemark à Kalunborg il y a 30 ans et qui commence à faire des émules en France. Le principe est que les résidus d’une activité productive servent de matière première à une autre activité. Par exemple le gypse résidu de la fabrication de ciment sert à fabriquer des isolants, la vapeur d’une raffinerie sert à chauffer des serres ou un hôpital. C’est une pratique développée dans le bâtiment, les débris de démolition sont utilisés sur site pour la construction. A Épinal les déchets de papeterie servent à fabriquer des panneaux isolants.

Et dans notre département ?

En Loire-Atlantique la Chambre de Commerce a lancé des projets sur ce modèle. Mais le principe d’économie circulaire est nécessaire mais désormais insuffisant pour notre avenir. Nous ne devrions pas utiliser plus de matières premières que la terre n’est capable d’en régénérer. C’est le modèle de la permaculture (4) inventée dans les années 1970 par Bill Mollison et Davis Holmgren pour la production agricole d’abord, puis élargie aux autres activités humaines. En effet le sens initial,de « agriculture permanente » a donné naissance à « culture de la permanence » visant à organiser la société de façon qu’elle puisse se reproduire en permanence (non pas éternellement, mais en permanence). Dans le domaine agricole on n’utilise ainsi aucun engrais chimique, le compost et les déjections animales le remplacent. Aucun pesticide ou herbicide, les insectes hébergés par des plantes soigneusement choisies font le travail de protection des cultures. Pas de labour profond pour préserver la vie du sol. L’exemple emblématique en France est celui de la ferme du Bec-Hellouin, près de Rouen, ou l’on produit ainsi des fruits et légumes avec un rendement spectaculaire. Il est possible de faire vivre un actif agricole et un salarié à mi-temps sur une surface de 1000 m2, soit un dixième d’hectare, et de dégager un revenu net de 1 400 euros.

Une association promeut ce modèle dans notre département et organise des formations à la permaculture.

Sites

Repair café https://repaircafé.org/fr/location

Permaculture http://www.permaculture44.org

Un livre

Béa Johson, Zéro déchet, Les arènes, 2013

Sources

1 Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne, Calman-Levy, 1961

2 Francois Grosse, Le découplage croissance/matières premières, Futuribles, n° 365, juillet août 2010

3 Matthieu Crawford, Éloge du carburateur, Essai sur le sens et la valeur du travail, La Découverte, 2010

4 Silence, n°451, décembre 2016

Un commentaire sur “Une société de déchets ?

  1. Merci pour cet intéressant commentaire sur notre monstrueux gaspillage, mais il me semble que vous faites une erreur en parlant de Bout’ à Bout qui défend la consigne des bouteilles, moins énergivore que le recyclage. C’est ce que vous avez voulu dire, mais je lis le contraire.
    Si non à propos de l’économie circulaire, Dominique Bourg dans un récent livre, confirme ce que vous dites, c’est une supercherie, une vue de l’esprit, car le recyclage est de plus en plus compliqué et énergivore, à cause de la complexité des matériaux. C’est l’avis de Philippe Bihouix spécialiste des métaux.

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