Note de lecture : David van Reybrouck, Contre les élections, Actes Sud, 2014
La thèse de ce livre est que le système des élections n’a jamais été démocratique, que les premières démocraties ont reposé sur un système mixte de tirage au sort et d’élections et non sur un système basé exclusivement sur des élections. Celui-ci correspond historiquement à des sociétés élitistes, aristocratiques ou oligarchiques. Il a été mis en place dans les temps modernes à l’occasion de révolutions, mais des révolutions républicaines, pas des révolutions démocratiques, et ne concernait au départ qu’une partie de la population avec le suffrage censitaire. Son extension progressive à une part de plus en plus importante de la population lui donne une apparence démocratique, mais étendre un système élitiste sur un ensemble plus large ne modifie pas le principe fondamental du système, il en cache les ressorts intimes. Et il arrive aujourd’hui à épuisement. Voilà une manière intéressante d’aborder le débat souvent confus entre démocratie représentative, participative, délibérative ou directe.
Cette analyse a été oubliée mais c’était déjà celle d’Aristote que Montesquieu a reprise dans L’esprit des lois : « Le suffrage par le sort est de la nature de la démocratie; le suffrage par choix est de celle de l’aristocratie ». Concrètement, pour Rousseau dans Le contrat social, « Quand le choix et le sort se trouvent mêlés, le premier doit remplir des places qui demandent des talents propres, telles que les emplois militaires, l’autre convient à celles où suffisent le bon sens, la justice, l’intégrité, telles que les charges de judicatures ». C’était le modèle de la démocratie athénienne.
Ce débat est d’autant plus important aujourd’hui que les démocraties sont affrontées à une double crise de légitimité et d’efficacité. Les régimes démocratiques oscillaient jusqu’à présent entre ces deux pôles, le pôle efficacité avec son paroxysme de la dictature au minimum de légitimité, le pôle légitimité avec parfois une inflation de débats et une baisse (temporaire) d’efficacité. Mais connaître les deux en même temps est exceptionnel.
Légitimité
– le taux de participation aux élections diminue partout. Europe : 85% dans les années 1960, 79% dans les années 1990, 77% au début du XXIe siècle. Aux États Unis la participation est inférieure a 60%.
– l’inconstance des choix, autrefois relativement stables, aujourd’hui beaucoup plus volatiles,
– la baisse des adhésions à un parti politique. Le taux d’adhésion des électeurs à un parti est de 4,6 % en Europe, il a baissé presque de moitié depuis 1980 en Belgique (9% à 5,5%) et aux Pays Bas (4,3% à 2,5%). Le nombre d’adhérents a baissé de plus de la moitié sur cette période en France, Grande-Bretagne et Norvège.
Efficacité
Les partis au pouvoir perdent des voix aux élections suivantes. Les partis ayant participé à un gouvernement sortant perdent en moyenne 1 à 1,5% des voix entre 1950 et 1960, 2% dans les années 1970, 6% dans les années 1980, 8% ou plus depuis les années 2000.
Les grands projets publics prennent de plus en plus de temps. Gare de Stuttgart, achèvement du périphérique d’Anvers, aéroport de NDL de Nantes sont en panne. Si les grands projets sont hors de portée, alors les grands défis comme le changement climatique ou la régulation financière le sont encore plus. « La politique était l’art du possible, elle est devenue l’art du microscopique ».
Les principales caractéristiques du tirage au sort (page 92) :
- A été utilisé par plusieurs États depuis l’antiquité,
- Ces États étaient de petits États urbains, où seule une petite partie de la population pouvait accéder au pouvoir,
- Cet usage correspondait à une période de prospérité, Athènes au IVe siècle, Venise et Florence à la Renaissance, San Marin jusqu’au XXe siècle, et il a contribué à la période de stabilité de ces États
- Ce système réduisait les conflits et augmentait l’implication des citoyens,
- Il était utilisé en combinaison avec des élections pour favoriser les compétences des élus,
Il y a des expériences modernes en ce sens. La première proposition est venue de James Fishkin en 1988, qui proposait de réunir 1500 citoyens des États-Unis pendant deux semaines avec les candidats aux élections présidentielles. C’est le début des actions en faveur de la démocratie délibérative et non plus seulement représentative. Des assemblées citoyennes composées de citoyens tirés au sort ont travaillé sur les réformes institutionnelles au Canada, en Irlande, en Islande, aux Pays Bas. Barnett propose de remplacer le Sénat ou en Grande-Bretagne la Chambre des Lords par des assemblées composées de citoyens tirés au sort. Enfin Bouricius, un ancien élu américain du Vermont, a élaboré en 2013 une proposition de système mixte électif et tirage au sort avec six instances.
Alors, si maintenant on commençait vraiment ? Les panels ou jurys citoyens sont encore des essais trop timides. Remplaçons par exemple les conseils économiques, sociaux et environnementaux, ou les conseils de développement, par des assemblées composées de citoyens tirés au sort. Le risque est faible au vu du pouvoir de ces assemblées, l’avantage est grand de tester en vrai grandeur le fonctionnement d’un tel type d’instance. Ce ne serait qu’un début, il est essentiel de mettre fin au système oligarchique avec d’un côté une classe politique/administrative/médiatique dont la partie élue l’est de fait élus à partir d’une base oligarchique qui se reproduit sur elle-même pour une grande part, et de l’autre la population.