La société des aéroports du grand ouest (AGO) a déposé une demande de dérogation au code de l’environnement sur les espèces protégées dans la zone concernée par le projet d’aéroport. Il y a plus de 200 espèces protégées recensées. Cette demande du maître d’ouvrage s’appuie sur les trois conditions de dérogation ouvertes au sujet des espèces protégées : un intérêt public majeur, l’absence de solution alternative, la conservation des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle (L 411-2 du code de l’environnement). Reprenons ces trois points.
L’intérêt public est-il incontestable ? Il nous semble y avoir confusion entre projet « public » et intérêt général, entre le statut de l’équipement ou celui des initiateurs (les collectivités publiques) qui est effectivement public, et les motivations (intérêts) du projet. Qu’une collectivité ou ici un ensemble de collectivités ait intérêt à augmenter l’attractivité de son territoire, prévoie une augmentation du trafic aérien, c’est un intérêt d’ordre territorial limité d’une instance publique, de ses représentants. A l’opposé, réduire les émissions de gaz à effet de serre de 80 % et donc diminuer les déplacements, aériens compris, c’est de l’ordre de l’intérêt général, un ordre supérieur à l’intérêt spécifique des représentants élus d’une collectivité publique. Rappelons que cet objectif de 80 % est inscrit dans la loi sur la stratégie énergétique du 13 juillet 2005 (art. 2). L’intérêt public au sens de l’intérêt général est de diminuer le trafic aérien. Nous ne développons pas ici les débats sur l’efficience des moteurs, les carburants verts, l’effet rebond… Diminuer de moitié les émissions des moteurs mais multiplier par deux le trafic aboutit à ne rien changer.
L’absence de solution alternative : cinq autres sites ont été étudiés sauf le site de Bouguenais. Pourtant, la piste pouvant recevoir deux fois plus d’avions, il suffirait de restructurer les bâtiments (effectivement saturés quelques jours par an), et de prolonger la ligne de tramway, pour améliorer largement la situation et prévoir l’avenir. Il manque donc cette alternative.
La conservation des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : le maintien de la biodiversité est l’enjeu prioritaire de l’aménagement du territoire aujourd’hui. Selon le rapport scientifique paru en juin 2012 (Approaching a state shift In earth´s biosphère, Nature, vol 486, 7 juin 2012) le risque d’effondrement de la biodiversité atteindra un seuil critique dès que plus de la moitié de la surface terrestre sera sous influence de l’homme. Au rythme actuel de consommation des espaces ce seuil serait atteint dès 2030. Il est donc impératif de ne plus supprimer aucun espace « naturel » au sens d’espace comprenant des ressources végétales, des réseaux de circulation des espèces, des ressources en eau etc. Ce qui est en danger c’est notre espèce, via la disparition des espèces animales. C’est donc bien la conservation de l’espèce humaine dans son milieu qui est menacée.
Le rapport fait mention des risques de fragmentation de l’espace de vie des espèces, pour le triton palmé par exemple, avertit de la perte de corridors de circulation pour les chiroptères (chauves-souris) et l’écureuil roux, indique que les insectes forment une mosaïque de micro- habitats interconnectés (p. 106) ce qui implique une multitude de canaux de circulation. La création de six passages pour la petite faune, sur une espace de 6000 ha, peut-elle suffire à compenser les pertes ? Rien ne le montre dans le rapport.
Et le fait que l’aéroport se situerait dans l’unique corridor de zones humides entre le bocage d’Héric Grandchamps et la vallée de la Gesvres est mentionné, sans que nous ayons trouvé dans le rapport les solutions envisagées.
Le rapport fait étalement mention des risques de collision entre les animaux et les voitures ou les avions. Créer une haie transversale pour attirer les oiseaux (58 espèces protégées) hors des couloirs aériens suffira-t-il ? Quand aux risques de collision routière par exemple pour le lézard vivipare, nous n’avons pas trouvé ce qui était prévu ?
Pour ces trois raisons, je considère donc que la demande de dérogation est infondée.
Arnaud du Crest, ingénieur agronome et économiste.
11octobre 2013