La croissance aux USA est-elle terminée ? L’innovation chancelante face six vents contraires.
Robert J. Gordon, National bureau of economics research, Cambridge, Massachusetts, USA
NBER documents de travail, n° 18315, août 2012.
Ma synthèse. Robert Gordon analyse la croissance des pays développés à partir des deux leaders des pays industriels, la Grande-Bretagne pour une première période, relayée par celle des Etats-Unis au XXe siècle. Il distingue trois révolutions technologiques.
Les trois révolutions industrielles
Parmi les trois révolutions industrielles la première a donné un coup d’accélération à la croissance économique, multipliée par cinq. La seconde qui a été la plus importante a permis une croissance rapide durant près d’une centaine d’années de 1890 à 1972, suivie d’un fort ralentissement de 1972 à 1996. La troisième révolution industrielle a relancé la croissance entre 1996 et 2004, mais sur une durée beaucoup plus courte. Il y a eu d’abord un temps de latence entre cette troisième révolution industrielle et ses effets à partir des années 1990 (le paradoxe de Solow), contrairement aux deux précédentes. Depuis 2004 les applications se développent principalement dans le domaine des loisirs, et ne modifient plus beaucoup la productivité du travail lui-même.
L’innovation est un processus de séries d’inventions unitaires qui engendrent des améliorations incrémentales jusqu’à c e que leur potentiel soit pleinement exprimé. Pour les deux premières révolutions industrielles le processus incrémental a duré une centaine d’années, il a été beaucoup plus rapide pour la troisième.
Le taux de croissance diminue
La croissance en grande Bretagne a été limitée à environ 0,2 % par an pendant 4 siècles de 1300 (début de ce type de calcul) à 1700. Puis la première révolution industrielle a permis d’accéder à un taux de 1 % par an. Ensuite la croissance des USA a progressé jusqu’à un taux de 2 ,5 % par an en moyenne sur la période, malgré les aléas de la crise financière de 1929, et confortée par les dépenses de la seconde guerre mondiale. Depuis 1950 le taux de croissance diminue, et pourrait atterrir à nouveau à 0,2 % par an à la fin du siècle, comme avant le XVIIIe siècle.
Mais le revenu par tête continue d’augmenter
Le revenu par tête qui aurait été de de 1,1 $ en 1300 (aux prix d’aujourd’hui) aurait triplé après quatre siècles, puis il a plusieurs fois doublé…
La baisse du taux de croissance ne signifie donc pas baisse du revenu moyen par tête, mais augmentation moins rapide. Mais il s’agit d’une moyenne, le revenu de chacun dépend fortement de la distribution de l’augmentation. La croissance du revenu médian est bien moins importante que le revenu moyen. Aux USA le revenu moyen par foyer a augmenté de 1,3 % par an de 1993 à 2008 mais, pour les 99 % des plus bas revenus, l’augmentation n’a été que de 0,75 %, un écart de 0,5 % par an. Les 1 % les plus riches ont capté 52 % des gains de revenu au cours de ces 15 années.
L’innovation ne frappe qu’une fois
Une grande partie des innovations de process ne peuvent avoir lieu qu’une fois, elles ne peuvent pas être reproduites. Par exemple.
La vitesse des déplacements :
Les moyens de transport ne peuvent plus augmenter la vitesse, par contre l’accès aux moyens rapides se généralise.
L’amélioration de la température des logements
La température des logements d’avant les révolutions industrielles était fraîches en hiver, chaude en été. Une fois la température établie autour de 19° à 20 °C, on peut faire des progrès de régulation, en économie, mais pas en température.
L’urbanisation
La population aux USA qui était à 75 % rurale est devenue à 82 % urbaine. Cela ne peut pas se faire à nouveau. Et une évolution inverse est certes possible mais peu vraisemblable (sauf évènements violents, et réversibles, du type révolution culturelle chinoise ou cambodgienne).
L’espérance de vie
L’espérance de vie est passée de 45 ans en 1870 à 79 ans récemment aux USA. Elle a diminué depuis, du fait d’une alimentation trop grasse et sucrée.
Même si l’innovation permettait de maintenir un taux de croissance de la productivité équivalent à celui des deux décades antérieures à 2007, soit 1,8 % par an, c’est-à-dire qu’une autre révolution équivalente à l’internet apparaissait à court terme, la croissance n’en serait pas moins fortement ralentie :
Deux facteurs[1] de ralentissement du taux de croissance du PIB par rapport au taux de croissance potentiel :
- Le départ en retraite des baby-boomers[2] : – 0,2 %
- Le plafonnement de la part des jeunes obtenant un diplôme de l’enseignement supérieur, depuis une vingtaine d’années[3] : – 0,2 %
Quatre facteurs de diminution du revenu distribué ou disponible par rapport au taux de croissance moyen :
- Les inégalités qui diminuent de 0,5 points la croissance du revenu des 99 % du bas de l’échelle,
- La mondialisation qui pèse sur les emplois intermédiaires (ouvriers et employés qualifiés, techniciens) : – 0,5 %
- L’augmentation du coût de l’énergie : – 0,3 %
- Le paiement des dettes, l’augmentation des impôts, la réduction des financements sociaux : -0,2 %.
On arrive ainsi au taux de croissance qu’a connu la Grande Bretagne entre 1300 et 1700. Mais on pourrait aussi obtenir tout chiffre entre 0 et un peu moins de 1 % par an. L’important n’est pas le chiffre, c’est la tendance au retour à un niveau de croissance de l’ordre de celui connu avant la première révolution industrielle.
[1] Il manque selon nous l’effet de la modification de la structure de production (théorème de Baumol), et la loi des rendements décroissants décrite auparavant.
[2] L’arrivée des femmes sur le marché du travail au cours de la période des baby-boomers a permis une croissance du PIB par tête plus rapide que la productivité horaire. Les baby-boomers partent à la retraite, se retirent de la population active mais restent dans la population totale. Le nombre d’heures de travail par têt diminue, donc la production par tête augmente moins vite que la productivité.
[3] Dale Jorgenson, le coût de l’éducation, qui croît plus vite que la moyenne des biens et services, est un élément de ce plafonnement.