L’anarchisme et la doctrine sociale de l’Église

Deux questions pour commencer :

  • Le système politique actuel date de quand et est-il indépassable ? Est-ce la fin de l’histoire ?
  • La démocratie représentative est-elle adaptée aux enjeux écologiques ?

L’histoire politique est-elle une évolution inscrite dans une loi du progrès qui irait des peuples primitifs sans État, aux premiers États sous forme de royaumes, puis aux démocraties, avec les phases de dictatures ?

1/ Des raisons personnelles de m’intéresser à l’anarchie

Je n’ai jamais supporté le pouvoir, pas plus celui que l’on exerce sur moi que celui que je pourrais exercer. Et ce depuis longtemps, quand j’étais chef scout, j’étais passionné par les théories de la non-directivité, et j’avais transformé ma troupe scoute en une sorte de groupe autogéré. Nous avions descendu la Dordogne en radeaux, l’un d’eux arborait un fanion Ni Dieu ni maître.

Plus tard je fus en opposition périodiquement avec mes supérieurs hiérarchiques. L’origine est sans doute en partie familiale.

2/ Une recherche politique

L’anarchisme c’est l’ordre sans le pouvoir

D’abord il faut lever une confusion. Dans l’imaginaire populaire, l’anarchiste est cet homme en noir qui jette des bombes à la fin du XIXeme siècle, et l’anarchisme c’est le désordre. C’est en fait l’inverse. Anarchisme est un mot repris de Homère et Hérodote par Proudhon en 1850, un ancien séminariste, qui vient de an-arche en grec, sans pouvoir ou sans chef (sens politique) ou sans origine (sens philosophique). L’anarchisme c’est l’ordre sans le pouvoir, un ordre supérieur.

Je suis militant depuis mes 20 ans. Syndicaliste, puis politique, associatif, chrétien. J’ai tout essayé, et aujourd’hui je me sens bien dans l’Eglise. Une de mes questions est l’épuisement de la démocratie, est-ce vraiment un système indépassable ? J’ai un moment adhéré aux idées autogestionnaires du PSU et de la CFDT, tombées dans l’oubli après la chute de la Yougoslavie de Tito. Puis les enjeux de l’emploi, de l’écologie, de l’immigration, m’ont mobilisé.

Maintenant je me pose la question de l’organisation de la société pour préparer l’après crise écologique et répondre à l’épuisement de la démocratie (baisse du taux de participation aux élections, dysfonctionnement des assemblées parlementaires, développement des démocratures). Et l’hypothèse de l’anarchie refait surface.

Je ne refuse pas l’ordre, j’ai été moi-même le plus souvent responsable des services dont j’avais la charge, et je les dirigeais fermement, avec autorité sans doute mais en veillant, autant que possible, à ne pas exercer mon pouvoir, et en me protégeant du pouvoir des autres.

Quand j’ai pris ma retraite, je me souviens avoir dit à mon équipe, l’anarchie c’est l’ordre sans le pouvoir, dans certaines organisations c’est l’inverse, le pouvoir sans l’ordre.

Pouvoir et autorité

C’est l’occasion de distinguer pouvoir et autorité. Un exemple avec les enfants. J’exerce mon autorité en leur imposant d’aller à l’école et de travailler, de se laver les dents… mais si je leur imposais le choix d’un métier ou d’un conjoint, ce serait un acte de pouvoir, pas d’autorité.

« L’autorité, ce sont les autres qui nous l’accordent, et qu’elle n’est jamais liée à notre seul statut mais toujours à une place dans les systèmes de représentations de nos interlocuteurs. »[1]

« En juin 1940, les paroles de Charles de Gaulle ont su mobiliser de nombreux Français grâce à une annonce diffusée sur Radio Londres. […] Ce discours n’était pas celui d’un personnage qui avait un statut important dans une hiérarchie, il n’occupait pas non plus de hautes fonctions et ne disposait guère de moyens. Mais il était porteur d’une parole qui faisait une autre lecture des événements. […] Pétain et ses acolytes avaient le pouvoir, mais ne représentaient pas l’autorité pour un nombre de plus en plus grand de Français. »

Jésus est aussi un bel exemple d’autorité sans pouvoir.

Définition des chefs des tribus d’Amérique du Sud :
Pierre Clastres[2] définit trois qualités au chef, qui est un chef sans pouvoir coercitif :

  • il est garant de la paix et de l’unité du groupe, il recherche toujours le consensus
  • Il parle bien
  • Il donne de ses biens à ceux qui en ont besoin.

Le chef n’a pas de pouvoir, hors période de guerre ou de disette. En retour il bénéficie souvent de l’avantage d’avoir plusieurs femmes, et c’est parfois le seul dans un groupe dans ce cas.

Exemples
Les Jivaros semblaient ne pas avoir de mot pour « chef ».
Les Iroquois se regroupaient au sein d’une fédération des 5 tribus.
Les Guarani

Dans les sociétés dites primitives le contrôle social est immédiat, il ne passe pas par un pouvoir autoritaire. En est-on plus libre ? Individuellement sans doute pas, collectivement peut-être. Voir Dumont.

Le pouvoir est donc lié à une position hiérarchique, l’autorité à une capacité personnelle. Les deux peuvent correspondre, mais aussi ne pas correspondre, par exemple à l’école. La différence entre l’autorité et le pouvoir est que dans l’autorité, la volonté est accomplie sans résistance, volontairement, et dans le pouvoir, elle est imposée, en forçant les autres si c’est nécessaire. Une personne qui a de l’autorité a du pouvoir, mais une personne qui a du pouvoir peut avoir ou non de l’autorité.

« L’autorité appartient à l’un des quatre registres suivants : la tradition, le charisme, le fonctionnement rationnel-légal ou fondé sur la compétence. Dans cette acception, l’autorité agit non pas en opposition au pouvoir, mais en complément. »[3]

L’anarchie me semble le mode le plus adapté aux temps qui viennent, à une organisation en petites communautés, adaptées à leur territoire, mais fédérées pour prendre en compte les enjeux supra locaux. Voir les hypothèses des 4 scénarios de David Holmgren[4], le fondateur de la permaculture.

Des expérimentations concrètes

Deux régions du monde expérimentent l’anarchisme, le Rojava au Kurdistan iranien et les Zapatistes au Mexique, en s’appuyant sur les écrits de Murray Bookchin et Öcalan. En France ce courant politique est représenté par le groupe de Tarnac (le Comité invisible), la ZAD de Notre Dame des Landes, les Soulèvements de la Terre, l’association (catholique) Anastasis qui gère le café Dorothy à Paris, tous prenant des références philosophiques chez Giorgio Agamben, philosophe spécialiste de l’histoire des religions.

Pour un exemple proche, à Notre Dame des Landes, il y a eu la mise en place de systèmes de régulation sociale, toutes les semaines un comité gérait les conflits pouvant apparaître, vols, intrusion sur des terrains, et demander soit réparation, soit conciliation. Il agit comme expression de la volonté de la communauté, mais n’est pas institué comme pouvoir, il n’a pas de moyen de coercition.

3/ Une recherche théologique

Mon positionnement. En résumé je suis ignatien, membre de CVX depuis 30 ans, mais avec des tendances franciscaines et une proximité avec les protestants.

Plusieurs auteurs ont relu la Bible du point de vue des rapports au pouvoir et à l’autorité.

Dans l’ancien testament les avertissements sur les dangers du pouvoir des rois sont nombreux (voir Jacques Ellul).

Le Livre des Juges est l’un des livres de l’Ancien Testament[5]. Il raconte la période de l’histoire des Hébreux entre la conquête du Pays de Canaan et l’apparition de la royauté. À cette époque (vers -1150 – -1130), c’est sous la pression d’un danger et sur un mode défensif que les tribus d’Israël mettent à leur tête un chef militaire et politique, un « juge », envoyé par Yahvé pour guider les Hébreux face aux ennemis et aux divisions et les rétablir dans leurs croyances. On appelle donc cette époque celle des Juges.
Les spécialistes considèrent que le Livre des Juges est un ouvrage avant tout théologique (Yahvé constate la dépravation de son peuple et envoie un personnage pour le guider sur la bonne voie) et n’a pas ou peu de valeur historique. Mais il y a une certaine analogie entre les juges et les chefs des tribus amérindiennes.

Dans le Livre des Juges, alors que les tribus d’Israël sont entrées dans le pays de Canaan, les Israélites demandent à Gédéon de devenir leur chef à tous (Juges, 8, 22). Il refuse, car « C’est le Seigneur qui sera votre chef » (Juges, 8, 23).

Puis Abilemek, fils de Gédéon, veut se faire nommer roi. Son petit frère Yotam raconte l’histoire des arbres qui voulaient un roi, mais l’olivier refusa, puis le figuier, puis la vigne, seul le buisson épineux accepta (Juges, 9 8-15). Abimelek fut nommé roi, et finit la tête fracassée lors du siège de la ville de Tebée (Juges 9, 53).

Retenons ce passage sur la demande d’un roi par Israël 1 Samuel 8,1. Samuel interroge Dieu

L’Eternel dit à Samuel: «Écoute le peuple dans tout ce qu’il te dira, car ce n’est pas toi qu’ils rejettent, c’est moi, afin que je ne règne plus sur eux. ». Alors Samuel accepte la demande du peuple mais les avertit : 11 Il dit: «Voici quels seront les droits du roi qui régnera sur vous. Il prendra vos fils et les mettra sur ses chars ou parmi ses cavaliers, ou encore ils devront courir devant son char…13 Il prendra vos filles pour faire d’elles des parfumeuses, des cuisinières et des boulangères. 14 Il prendra la meilleure partie de vos champs, de vos vignes et de vos oliviers et la donnera à ses serviteurs… »

C’est le choix de Saül comme roi en 1050 av. JC, malgré le désaveu de cette fonction par Yahvé, qui y voit un rejet de sa majesté divine au profit d’une royauté humaine. David succède à Saül. Avant ce sont les juges (Livre des juges).

Ce passage est à rapprocher de ce que relate Pierre Clastres[6] au sujet des tribus d’Amérique du sud : Lorsque des chefs Guarani ont voulu développer un pouvoir au XVème siècle, des « prophètes », les karai ont Apple le peuple à quitter cette « Terre mauvaise ».

Le peuple hébreu des premiers temps, la période , n’avait pas de roi, contrairement à la période royale qui lui succède.

Dans le nouveau testament les passages sont souvent complexes à interpréter mais jamais univoques.

  • Mc 12, 13-17 (l’impôt à César), Jésus dit « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Est-ce à dire verser l’impôt à César mais ne lui donnez pas votre liberté ?
  • Saint Paul appelle à la soumission à l’autorité (Rm 13, 1-2), mais conclut (Rm 13, 7) « Rendez à chacun ce qui lui est dû : à qui l’impôt, l’impôt ; à qui les taxes les taxes ; à qui la crainte, la crainte ; à qui l’honneur, l’honneur. » Le débat sur qui est qui est ouvert.

Marc 10, 42-45

42 Jésus les appela et leur dit : « Vous le savez : ceux que l’on regarde comme chefs des nations les commandent en maîtres ; les grands leur font sentir leur pouvoir.
43 Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi. Celui qui veut devenir grand parmi vous sera votre serviteur.
44 Celui qui veut être parmi vous le premier sera l’esclave de tous :
45 car le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir, et donner sa vie en rançon pour la multitude. »

Pour d’autres[7], l’origine de l’Etat souverain moderne daterait du pape Grégoire VII (1015-1085). Avant Grégoire VII, le pape assume l’autorité dans l’Eglise et laisse le pouvoir aux empereurs. Avec Grégoire VII, le pape va revendiquer lui aussi un pouvoir, et même un pouvoir total qui fait de l’Église un Etat exerçant les pouvoirs, législatif, administratif et juridique. En 1075 Grégoire VII   édicte un ensemble de vingt-sept propositions (les Dictatus papae) par lesquels il assoit son pouvoir sur l’ensemble de l’Église. On a pu parler d’une véritable « révolution papale ». Les Etats modernes, qui naitront dans les siècles suivants, s’inspireront de l’organisation mise en place par le pape à cette époque.   

Les principes de François d’Assise[8] étaient très proches de l’anarchie, même si le concept n’existait pas alors :

  • Les franciscains n’ont pas de supérieur, mais des Gardiens de communauté, révocables,
  • François ne voulait pas de propriété privée dans son ordre, ni d’argent,
  • La règle interdisait aux frères d’accepter un emploi où ils auraient à exercer un pouvoir, et « que tous les frères n’aient, surtout entre eux, aucune autorité ou domination », « Que tous les frères, en quelque lieu qu’ils se trouvent chez autrui pour servir et pour travailler, ne soient ni camériers ni chanceliers, et qu’ils ne commandent pas dans les maisons de ceux qu’ils servent »
  • Les communautés des Clarisses sont toutes reliées directement Vatican, sans niveau intermédiaire.

Une grande partie de ces principes, pas tous, ont été combattus par l’Eglise, et François finit sa vie seul dans un ermitage isolé.

De nombreux auteurs chrétiens se réclament de l’anarchie, citons en France[9] Jacques Ellul, Emmanuel Mounier, Georges Bernanos, Charles Péguy, plus récemment Foucault Giuliani, cofondateur du groupe Anastasis, en Russie Tolstoï et Kropotkine, en Amérique Henri-David Thoreau, on peut ajouter Ivan Illich qui ne s’est jamais dit anarchiste mais dont les textes décrivent des principes d’autonomie opposés au pouvoir, Bergson, de filiation juive mais très proche du christianisme…

4/ Le pape François

La DSE est le plus souvent en retard sur la réalité sociale, voir par exemple Rerum novarum. La théologie est selon certains auteurs la matrice de notre organisation sociale, voir Michel Foucault, Giorgio Agamben. Mais le pape François, dont les textes sont intégrés à la doctrine sociale, prend parfois un peu d’avance.

Laudato si

Le pape François est proche de la théologie du peuple, donc de la théologie de la libération, mais sans doute pas de l’anarchie. Ceci dit quelques passages peuvent suggérer des relations.

Le paradigme technocratique (109)

« Le paradigme technocratique tend aussi à exercer son emprise sur l’économie et la politique. L’économie assume tout le développement technologiques en fonction du profit, sans prêter attention à d’éventuelles conséquences négatives pour l’être humain. Les finances étouffent l’économie réelle. »

Le pape nous invite à briser le cercle du paradigme technocratique, mais comment ?

Les relations pouvoir politique /économie finance /technologie sont organiques, profonds, l’économie et la technologie si elles sont remises en cause ou limitées, renaîtront tant que le cœur du système, le pouvoir politique, restera actif. La seule voie est de vider de contenu le pouvoir politique, de manière à rendre inopérant la finance, qui a besoin de l’appui du pouvoir, et la technologie, qui a besoin de la finance et du pouvoir.

L’importance du local et de la mobilisation du peuple

179 « …l’instance locale peut faire la différence alors que l’ordre mondial existant se révèle incapable de prendre ses responsabilités…

Étant donné que le droit se montre parfois insuffisant en raison de la corruption, il faut que la décision politique soit incitée par la pression de la population. La société, à travers des organismes non gouvernementaux et des associations intermédiaires, doit obliger les gouvernements à développer des normes, des procédures et des contrôles plus rigoureux. Si les citoyens ne contrôlent pas le pouvoir politique – national, régional et municipal – un contrôle des dommages sur l’environnement n’est pas possible non plus. »

Ce passage peut être interprété comme une invitation à renforcer la démocratie représentative, mais aussi comme une valorisation de la gestion locale, de l’implication de chacun, alors que la démocratie représentative consiste à déléguer à d’autres nos responsabilités. Comme le disait Rousseau, on ne représente que des absents.

Fratelli tutti

Rappel de la relativité de la propriété soumise au bien commun 118 119 (voir Proudhon)
L’importance du local et l’universel, 143 144 (voir Murray Bookchin)

Politique et économie 177, « la politique ne doit pas se soumettre à l’économie et celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme d’efficacité de la technocratie » ce qui pose la question de leur séparation (tant que les deux seront séparés, l’économie dominera la politique, voir Agamben).

Laudate deum

Dans cette exhortation, le pape François s’élève contre les pratiques du pouvoir, et appelle chacun de nous à contrôler le pouvoir, municipal, régional, national, et à associer les ONG aux instances internationales à l’ONU.

Définition de l’autorité[10] « L’autorité n’est pas : Moi je commande, toi tu fais. Non c’est autre chose, l’autorité est un don, une cohérence. »

5/ Doctrine sociale de l’Eglise et questions d’un point de vue de l’anarchie

En gras les passages de la DSE que nous soulignons. En italiques nos commentaires

https://www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/justpeace/documents/rc_pc_justpeace_doc_20060526_compendio-dott-soc_fr.html#J%C3%A9sus%20et%20lautorit%C3%A9%20politique

Jésus et l’autorité politique

379 Jésus refuse le pouvoir oppresseur et despotique des chefs sur les Nations (cf. Mc 10, 42) et leur prétention de se faire appeler bienfaiteurs (cf. Lc 22, 25), mais il ne conteste jamais directement les autorités de son temps. Dans la diatribe sur l’impôt à payer à César (cf. Mc 12, 13-17; Mt 22, 15- 22; Lc 20, 20-26), il affirme qu’il faut donner à Dieu ce qui est à Dieu, en condamnant implicitement toute tentative de divinisation et d’absolutisation du pouvoir temporel: seul Dieu peut tout exiger de l’homme. En même temps, le pouvoir temporel a droit à ce qui lui est dû: Jésus ne considère pas l’impôt à César comme injuste.

Il faut distinguer ici pouvoir et autorité. Obéissez à l’autorité, refusez le pouvoir, c’est l’interprétation de Jacques Ellul[11].

384 La personne humaine est le fondement et la fin de la communauté politique. Dotée de rationalité, elle est responsable de ses choix et capable de poursuivre des projets qui donnent un sens à sa vie, au niveau individuel et social. L’ouverture à la Transcendance et aux autres est le trait qui la caractérise et la distingue: ce n’est qu’en rapport à la Transcendance et aux autres que la personne humaine atteint sa réalisation pleine et intégrale. Pour l’homme, créature naturellement sociale et politique, « la vie sociale n’est donc pas (…) quelque chose de surajouté », mais plutôt une dimension essentielle qui ne peut être éliminée.

La communauté politique découle de la nature des personnes, dont la conscience « leur révèle et leur enjoint de respecter » l’ordre inscrit par Dieu dans toutes ses créatures, « un ordre moral et religieux qui, plus que toute valeur matérielle, influe sur les orientations et les solutions à donner aux problèmes de la vie individuelle et sociale, à l’intérieur des communautés nationales et dans leurs rapports mutuels ».

393 L’Église a été confrontée à diverses conceptions de l’autorité, en ayant toujours soin d’en défendre et d’en proposer un modèle fondé sur la nature sociale des personnes: « Puisque Dieu a doté de sociabilité la créature humaine, mais puisque “nulle société n’a de consistance sans un chef dont l’action efficace et unifiante mobilise tous les membres au service des buts communs, toute communauté humaine a besoin d’une autorité qui la régisse. Celle-ci, tout comme la société, a donc pour auteur la nature et du même coup Dieu Lui-même” ». L’autorité politique est par conséquent nécessaire en raison des tâches qui lui sont attribuées et ce doit être un élément positif et irremplaçable de la communauté humaine.

On note qu’il n’est jamais question de pouvoir. Pour Proudhon[12] l’anarchie c’est l’ordre sans le pouvoir.

Le système politique

190 La participation à la vie communautaire n’est pas seulement une des plus grandes aspirations du citoyen, appelé à exercer librement et de façon responsable son rôle civique avec et pour les autres, mais c’est aussi un des piliers de toutes les institutions démocratiques, ainsi qu’une des meilleures garanties de durée de la démocratie. De fait, le gouvernement démocratique est défini à partir de l’attribution, par le peuple, de pouvoirs et de fonctions, qui sont exercés en son nom, pour son compte et en sa faveur; il est donc évident que toute démocratie doit être participative. Cela comporte que les sujets de la communauté civile, à tous ses niveaux, soient informés, écoutés et impliqués dans l’exercice des fonctions qu’elle remplit.

Il s’agit bien là d’une démocratie représentative et non participative. Comme le dit J-J. Rousseau, on ne peut déléguer son pouvoir que si l’on est absent. Toutes les tentatives de participation, convention citoyenne, grands débats, ressortent plus de simulacres de participation. La seule manière d’être participatif est que les personnes concernées interviennent directement sur les décisions et actions.

395 Le sujet de l’autorité politique est le peuple, considéré dans sa totalité comme détenteur de la souveraineté. Sous diverses formes, le peuple transfère l’exercice de sa souveraineté à ceux qu’il élit librement comme ses représentants, mais il conserve la faculté de la faire valoir en contrôlant l’action des gouvernants et en les remplaçant s’ils ne remplissent pas leurs fonctions de manière satisfaisante. Bien qu’il s’agisse d’un droit valide dans chaque État et dans n’importe quel régime politique, le système de la démocratie, grâce à ses procédures de contrôle, en permet et en garantit une meilleure pratique. Le consensus populaire à lui seul ne suffit cependant pas à faire considérer comme justes les modalités d’exercice de l’autorité politique.

On est ici dans le registre du pouvoir. Le peuple transfère son pouvoir à ses représentants et peut les remplacer à l’occasion des élections. Mais l’on sait bien que si avec le suffrage universel tous peuvent voter, tous ne sont pas en capacité de se présenter aux électeurs (cf. Aristote déjà). Et quand de moins en moins d’électeurs participent aux élections, quand les résultats se jouent à quelques % et que le candidat finalement élu ne représente que 20 à 30 % des électeurs.

Intervention à Châteaubriant, 21 mars 2024


[1] Charlotte Herfray , Autorité et pouvoir, Le Coq-héron 2012/1 (n° 208), pages 67 à 76

[2] Pierre Clastres, La société contre l’Etat, Éditions de Minuit, 1974.

[3] Bernard André, Autorité et pouvoir dans la classe https://journals.openedition.org/rfp/8696

[4] David Holmgren, Future scenarios, Chelsea Green Publishing, 2009, USA

[5] Source Wikipedia.

[6] Pierre Clastres, La société contre l’Etat, Éditions de Minuit, 1974, page 183.

[7] Dominer. Enquête sur la souveraineté de l’Etat en Occident, Pierre Dardot et Christian Laval, La Découverte, 736 p.

[8] https://www.saintfrancoisdassise.com/index.php/premiere-regle

[9] Alexandre Christoyannopoulos, L’anarchisme chrétien, Atelier de création libertaire, 2022.

Jacques de Guillebond, Falk Van Gaver, Anarchrist, DDB, 2015.

Jacques Ellul, Anarchie et christianisme, Atelier de création libertaire, 1988

Emmanuel Mounier, Communisme, anarchie et personnalisme, Seuil, 1966

Jean Bastaire, Péguy l’insurgé, Payot, 1975

Paul Colrat, Foucauld Giuliani, Anne Waeles, La communion qui vient, Seuil, 2021.

[10] Pape François, Méditation matinale en la chapelle de la maison Sainte Marthe, Mardi 9 janvier 2018.

[11] Jacques Ellul, Anarchie et christianisme, La Table ronde, 2018 (Atelier de Création libertaire, 1988).

[12] Pierre-Joseph Proudhon, Qu’est-ce que la propriété? : ou Recherche sur le principe du droit et du gouvernement, Paris, Le livre de poche, 2009

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