Le débat autour du déficit budgétaire tourne autour de deux questions, faut-il augmenter les recettes ou diminuer les dépenses ? Le gouvernement a choisi (mais ses prédécesseurs ont toujours échoué) de diminuer les dépenses, la gauche demande d’augmenter les recettes. Les deux impensés sont la répartition et l’objet des dépenses.
La répartition d’abord. L’essentiel de l’augmentation du budget de l’Etat est depuis plus d’une dizaine d’années, affecté à l’aide aux entreprises (Anne-Laure Delatte, L’État droit dans le mur, Fayard, 2023) : 78 % de l’augmentation totale du budget de l’État (évalué en % du PIB) entre les périodes 1995-2009 et 2010-2021. Les formes sont variées, aides directes ou exonérations fiscales, mais cela représente au total plus de 63 milliards d’euros en 2021 (et 6 milliards pour le crédit d’impôt recherche en 2023, dont l’efficacité est discutée). Voilà une dépense qui pourrait être diminuée, mais avec un risque politique réel, l’opposition du patronat donc d’une bonne partie de la droite.
L’objet ensuite. Comme le montrait très bien Ivan Illich, la société de services sera incapable de répondre à la demande externalisée d’éducation, de santé, de soins aux personnes précaires ou aux personnes âgées… car ces besoins sont sans limite (Quand la corruption du meilleur engendré le pire, Fayard, 2004). Une société où ces « services » sont assurés par la société civile régule elle-même les besoins, régule les inégalités qui génèrent ces besoins dans le cas de la précarité, la répartition du temps de travail et l’aménagement des habitats pour pouvoir s’occuper des personnes âgées, l’apprentissage pour les formations professionnelles, les soins palliatifs pour les personnes en fin de vie.
Cela ne signifie pas que nous n’avons pas besoin, de manière spécifique et limitée, de professeurs, médecins ou psychologues, mais qu’ils n’ont pas à prendre le monopole de ces activités.
Cette orientation suppose de revoir le temps de travail pour affecter une partie de notre temps d’activité à ces besoins, de revoir l’habitat pour prendre soin des vieux, des malades ou des précaires, l’organisation des entreprises et le fonctionnement économique pour intégrer des candidats qui ne soient pas opérationnels « tout de suite ». Il est temps, il est urgent, de s’engager dans cette voie plutôt que de chercher des solutions a une équation impossible.
Certes quelques pays dits développés ont un excédent budgétaire, mais souvent à cause de situations particulières. L’Irlande est passée en positif depuis deux ans et affiche un excédent budgétaire de 6,2 milliards € en 2023 soit 1,2 % de son PIB, dû en grande partie à la hausse des recettes fiscales issues de l’impôt sur les sociétés, attirées par un taux de taxation particulièrement bas, à 12,5 % (la moitié du taux de 25 % appliqué en France). La Norvège a dégagé en 2023 un excédent budgétaire de 107 milliards € soit 24 % de son PIB continental (hors hydrocarbures). Hors revenus des hydrocarbures, le déficit budgétaire s’établirait à 7 % du PIB continental. Hormis ces deux exceptions, le Danemark, le Portugal, les Pays-Bas, la Lituanie et la Croatie présentent en Europe un excédent budgétaire en 2023, mais les grands pays, dont la France et l’Allemagne, sont en déficit. Combien d’années encore ? Nous ne sommes pas dans la situation des États-Unis qui font financer leur déficit grâce au dollar.
A l’occasion du débat sur le budget 2026, Anne-Laure Delatte déclare le 12 juillet 2025 : « Une part croissante de la dépense publique soutient l’activité marchande plutôt que l’éducation ou la santé ».